1001 vies (511) : Jean & Jean, souliers chics, et la condition humaine – 41
Antidotes – 41
Le boss partageait avec son grand ami, Aristophane, trois heures d’attestation de déplacement et son banc favori dans un square où il était comme chez lui, en face de chez lui. Aristophane faisait aimablement remarquer la ressemblance entre confinement et coffin, cercueil. Il ne s’améliorait pas. Le boss n’a rien dit.
Son ami, au bout d’un long monologue, s’est débrouillé pour conclure par l'axiome premier de la morale kantienne : Or je dis : l'homme existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré.
Aristophane était un vrai magicien avec chapeau chaque et lapin blanc.
: Alexander opina.
– Il est rare d’opiner, si on y songe, me dit Jean.
– Comme de rétorquer, d’ailleurs.
– Il est probable que ce monsieur volubile a trouvé une manière de s’excuser pour avoir commenté une heure durant pour le boss (le moyen), quelques pigeons attentifs et nous-mêmes, l’Encyclique Populorum progressio – Paul VI, 1967 – qui traitait avec verdeur du libéralisme et de l’impérialisme occidental, mais qui le faisait mourir de rire par son impayable naïveté et une irrationalité confondante.
– Certes, il s’excusait, mais pour peu de temps.
– On a toujours le tort d’être confiant.
– L’optimisme n’annonce jamais rien de bon.
Le monsieur entretint alors le boss de son régime alimentaire à base exclusive de yaourts – et même là le boss ne trouva rien à dire.
– L’avenir s’annonçait peu sûr.
– Irrémédiablement morose.
– Indéfectiblement clos.
Le boss s’est enfin souvenu boire quotidiennement un composé d'argile verte et d'eau qui avait un effet laiteux – selon maman H qui s'était étrangement donné mission de le garder en vie et savait qu'il y a toujours un bébé qui sommeille dans Napoléon.
Mais il était trop tard, Aristophane s’était métamorphosé dans un pigeon qui regardait le boss d’un œil intrigué parler seul – tandis qu'une fine silhouette en manteau blanc quittait le square.
*
– Un beau jour, un jour très beau, proclama le patron, j’ai su que j’étais puissant, et c’était être sage. Ce beau mot de sagesse je le méconnaissais par une sotte déférence, ou bien, dans ma jeunesse, par un mépris supérieur de garçon de bains. J’étais enfin sage d’une ironie heureuse et sans malveillance, d’une exactitude des mots, d’une observation aimable sans surplomb, d’une moquerie ailée de mélancolie.
Le boss est le point d’équilibre du monde.