1001 Vies (582) : Le Déluge et Darius Chopineau (2)
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Darius ne se souvient pas des femmes qu’il a connues.
À peine d’un geste surprenant pendant l’amour, une initiative incongrue, un refus amusant, un regard éperdu, un lieu singulier ou le moins convenu possible. Il faut pour la mémoire l’écart dans la confusion des gestes interchangeables, une anomalie subtile improvisée dans l’inspiration du moment, une escale exotique dans la géographie mentale.
Mais c’est très peu. À peine visualisable. Une encoche ténue dans la mémoire de Darius qu’aucune mnémotechnique ne revitalisera. Qui ne tient sa valeur que de la fugacité, de l’évanescence.
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Rien ne lui revient de l’apparence de ces femmes, ou seule une forme vague, et rien de leur nom ni même de ce qu’était leur vie. Des raisons sociales qu’il devait à leur présence. Ce sont des ombres chinoises.
En somme, il se souvient d’avoir été étonné.
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En revanche, il se rappelle assez bien celles qu’il n’a pas connues. La situation, la scène, la silhouette, le passage, un sourire d’entente, la complicité amusée, mais une incompréhensible restriction commune, le désir inaccompli – les ont retenus.
Si la réalisation physique a tout effacé du bout d’une gomme, la suspension partagée n’est pas interchangeable avec quoi que ce soit. Il en est persuadé, quelque part au monde un inachèvement ne cesse dans la rêverie impromptue de femmes avec qui ils ne se reconnaîtraient même pas.
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Un même suspens est posé à la verticale dans des mémoires dispersées. Il circule dans ce balancier l’air vivifiant du monde joyeux des possibles Ne dirait-on pas les brouillons de ce qui serait une œuvre parfaite, inatteignable, qu’un crayon immatériel dessine dans les airs raréfiés du passable ?
[à suivre]