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Publié par Michel Castanier

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[L‘image est d’Annie Leibovitz]

 

 

28

 

Moi – Allons, haut les cœurs !

Elle – C’en est fini, chan­geons de bra­quet !

Moi – Grim­pons en danseuse les hauts cols de l’Art !

Elle – Attrape le lec­teur par le cou, mon beau ! Secoue-le à lui dé­cro­cher la mâchoire !

Moi – La première page du gland roman ? Un coup de force, une prise de judo !

Elle – Clé de bras, étranglement et kami-shio-gatam !

Moi – Le concerner sans une minute à perdre : par­ler du temps qu’il fait !

Elle – En­suite développer un sujet complai­sant dans un style déjà lu – cela rassure l’enfant en nous.

Moi – Celui qui croit écrire est aussi bête qu’un fana­tique re­li­gieux – s’y tenir. Ac­com­moder alors dans un déni sou­verain de la triste réalité, tou­jours triste la réalité ! et sous la forme la plus conven­tion­nelle possible une autofic­tion douloureuse mais optimiste et surtout d’actuali­té : Mes érec­tions.

Elle – Mes sou­venirs de S­yrie !

Moi – J’ai épousé mon père !

Elle – Ma vie de trans­genre !

Moi – Mes migra­tions !

Elle – Mon cher mongolien !

Moi – Mon viol !

Elle – Mon sans-abri et moi !

Moi – Enfin, le devoir accompli, petit marquis pompon­né de la lit­tératurlute à la télévision, danser le menuet à pas pointés avec collerette et perruque poudrée, n’est-ce pas, mon petit écureuil !

Elle – Toujours gaie l’imagina­tion !

Moi – Où nous emporte-t-elle !

Jusqu’au restaurant.

 

 

– Vous attendez quelqu’un ?

– Moi ? Non.

– 2 menus, vous êtes sûr ?

– Parfaitement.

À la belle Saison, restaurant qui est un ancien bordel, minus­cule, avec trois tables, un éclairage doux et d’étranges hublots semblable à des yeux de poisson préhistorique, nous parlons d’une maison d’édition cé­lèbre et de ce que mon institutrice ap­pe­lle ses devoirs : les auteurs offi­ciels y ren­dent régulièrement leur copie. J’en suis d’accord sans que se puisse discerner en moi le moindre res­sen­timent sour­nois. J’ai choisi la saucisse frites, madame Philomène le lapin à la mou­tarde.

Moi – C'est en général littéraire­ment très fort, très futé, mais hu­mainement ça ne vaut pas tri­pette.

Elle – Il manque une dimension d'émotion, ce sont des exer­cices d’écriture, des ouvrages cérébraux.

Moi – Chacun des auteurs pris à part, pas mal du tout, mais la sève enfin s'y épuise – et ils n'aboutissent qu'au déterminisme so­cial qui les a fait rois. Ils tournent autour de leur nombril artisti­quement circonvolutif. D'où ceci : parfaite­ment achevé, cela est parfai­te­ment vain.

Elle –Abolis bibelots d’inanité sonore !

Moi – Voilà ! On travaille, en orfèvres admirables, des cabo­chons de carafe.

Elle – De l'art déco.

Moi – Ils sont trop intelligents. Ils se refu­sent à faire partie de la bande humaine : ceux à qui on la fait tout le temps, les imbé­ciles heureux, les pochards de l’émotion.

Elle – Nous !

Moi – L’éditeur dirige un laboratoire : milieu stérile où le lec­teur se déplace en combinaison de lecture avec lunettes de sé­cu­rité, gants prophylactiques, filtres de protection antibacté­rienne et masque à oxygène.

Elle – Ils n'ont pas la pulsion créatrice et la noble indiffé­rence à l'inachè­ve­ment des grands ro­manciers français. Depuis que notre pays n'est plus dans la veine de l'His­toire il se dit que la littérature y manque d’ampleur, de respira­tion.

Je manque m’étouffer avec ma saucisse frites récalcitrante.

Moi – Ce n'est pas tout à fait vrai : il y a plutôt d'autres dis­po­sitifs romanesques.

Elle – Ah non ! Pas tes fragments !

Moi – Il est vrai que nous sommes en apnée, même pas sûrs de remonter des profondeurs, je le concède, peut-être la France est-elle à marée basse et ces gens ont-ils la conscience désolée d’écrire dans une langue morte.

Mais Philomène, à son habitude, réfléchit à ce que je ne dis pas beaucoup plus qu’à ce que je dis, et ma réflexion lui ouvre des horizons insoup­çonnables.

Elle – Bref, tu es atrocement envieux.

 

 

Le bruit des couverts rappelle un concert de musique acous­tique en sourdine. Je regarde avec fascination un plat près de notre table.

Elle – À quoi penses-tu ?

Moi – Je pense à la Recherche du temps perdu.

Elle – Je ne crois pas qu’il y soit jamais question de spaghet­tis à la Bolognaise.

Moi – Je veux dire : non ponctué, c’est un plat de spaghettis.

Elle – Tu te venges bassement de ton impuissance sur ce mu­sée pom­péien.

 

 

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