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Publié par Michel Castanier

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« Voyez cet homme, un cartable à la main, que sa myopie égare entre les tables où chacun se détourne discrètement. Il cherche à qui parler. Morel a une arme favo­rite : la citation, dont ce vaste érudit fait un usage dicta­torial. Or l’art de la citation relève de l’Art de la conver­sation. Elle arrive à propos et non à brûle-pour­point. Elle n’est ni une me­nace ni un masque. Elle n’est pas là pour écraser ou pour cacher du néant. Elle étaye, elle se­conde, elle pré­cise. Elle est syn­thèse de ce qu’on aurait soi-même mal for­mu­lé. D’un bon usage elle est cha­toyante, par­cimo­nieuse, pré­cieuse. Chez Morel, enseignant à la retraite qui s’en­nuie et n’impressionne plus grand monde au-dessus de neuf ans, la cita­tion est la lampe que braque la po­lice sur le cri­mi­nel dans les vieux po­lars très enfumés. Même atmos­phère drama­tique, fa­tale, en somme capi­tale. Elle n’éclaire pas, elle aveugle, et Morel guette dans les regards des suspects le flou qui dira que rien n’a été com­pris.

Dès le départ du grand érudit les bien­heureux simples d’es­prit fris­son­nent aux terrasses. Décidé­ment on y voit mieux sans lui, on en­tend mieux, on res­pire mieux. »

 

 

Quand il pleut, Ali n’admet pas de sortir du Café Car­ré. Notre serveur a des réti­cences de chat. Il fait du surplace der­rière le comptoir à la façon du sportif en salle sur un tapis de course. La Mousson a dû traumatiser son enfance pakis­tanaise. Si ces gens ont la Mousson.

Et justement il pleut quand le marathon annuel vient à passer devant le parvis du monument romain. Mon ami étrange, à cette vue, s’écroule de rire sur mon épaule, ce que je permets assez peu, il se redresse, essuie ses yeux du revers du poignet. Peut-être a-t-il pleuré ?

Il ne s’explique pas, il s’explique rare­ment, il semble avoir des difficultés avec notre langue, mais je crois com­prendre. Il est évident que ce garçon aime s’amuser. Et qu’y-a-t-il de plus amu­sant qu’un Oc­cidental ?

Les sportifs défilent, leurs survêtements sont un arc-en-ciel humain en déplacement horizontal, tous sont extrêmement pous­sifs, lourds, en sueur – très physiques.

La pluie claque des mains.

Légère.

Rien ne me distrait.

Le Café Carré est mon cabinet de travail en plein air. J’écris avec autorité une de mes Mille et Une Vies, à l’abri de l’averse sous mon parasol publicitaire Chez Binet – le regard fixé sur la ligne bleue de l’Arrivée.

Mon marathon per­son­nel.

Parfois Ali s’assied sous mon toit de toile sans se soucier s’il dérange. Il va de soi que je ne lui en fait rien sa­voir : le Pakista­nais est de la diversité, il ne veut rien savoir de nos mœurs. Ce prince au village me regarde travailler. Ça le re­pose. Un coup de vent disperse mes notes, Je cours après comme je cours après le ta­lent. Ali me re­garde courir à mon tour avec intérêt.

 

 

[à suivre]

 

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