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Publié par Michel Castanier

Ulysse

 

 

 Lui – Figure-toi qu’aux en­virons de 3h du matin, cette nuit, j’ai rêvé voyager à bord du vaisseau d’Ulysse. Expédition gran­diose ! Je ne peux qu’être Homère. Ulysse me faisant remar­quer la couleur de miel des nuages sous le soleil, je lui ré­ponds qu’en compagnie d’un si grand navigateur mon œuvre sera une cosmo­logie portative, une encyclo­pé­die universelle, un portulan des abysses humains et un dictionnaire de scrabble. Le rêve pro­duit pour­tant une tristesse radi­cale qui me réveille, ce malheur abso­lu d’être réveillé…

Moi – J’ai d’assez bons somnifères. Moi-même…

Lui – Ce réveil – de la lumière à l’obscurité – est ressentir un aban­don et une solitude irrémé­diables dont ne trou­ver d’équi­va­lent que dans une certaine dou­leur phy­sique connue à l’hôpital, une douleur fon­damentale, une douleur qui ab­sorbait tout l’être, au point de la regretter quand elle s’est dis­sipée, car elle avait quelque chose à dire d’es­sentiel que je n’ai pas su entendre... Ce sera écrire, tu le comprends bien

Je ne comprenais rien, mais le port de mes lunettes d’aviateur ca­chait opportu­nément mon désarroi.

Lui – En cesser avec la posture ! Réduire l’univers à la médiocrité de notre bureau. Menant le monde d’une main de fer à ses fins. Laissant soigneusement se refléter un Visage énigmatique dans le noir cosmos de l’encre. Imposture ! Ce qui se soupçonne, même pas d’orgueil, de petites vanités, de souci de sa frange blonde et de pose pour l’éternité dans bien des pages de nos écrivains ! Enorme bêtise de l’artiste.

Moi – N’est-ce pas ?

 

(Je propose de créer un mouvement : La Ligue du macaron mou.

Il faut l’admettre, nous autres, gens âgés, ne sommes pas reconnus. Il ne nous est accordé qu’une existence mi­nime, aux marges, à la périphérie. Il y a des maisons pour nous, il n’y a pas d’ave­nir. Pas de public. Pas de groupies. Si nous écrivions nous ne serions pas pu­bliés (au vu de nos photographie en 4ème de cou­verture à la place du fringant jeune homme blond ou de la douce Créature rieuse les cours de la Bourse éditoriale s’ef­fondreraient sans doute), nous ne passons plus à la télé que dans des émis­sions de l’INA si­nistres, en noir et blanc, où nous parlons sagement de tout et de rien, notre obsolescence a été pro­grammée, notre valeur d’usage notablement diminuée par l’ap­parition de produits nou­veaux, les jeunes, nous vi­vons en régime cati­mini.

Je me souviens qu’on nous appe­lait des croulants dans ma jeunesse idiote. Nous croulons de toute part en toute chose. Nous ne sommes qu’éboulement, chute, débris et ruines. Nous sommes faisandés, nous dégageons une petite odeur surie. Au­jourd’hui en­core, malgré les extraordinaires progrès moraux de l’humanité en marche et l’intérêt hypocrite qui nous fut portée grâce à une vague épidémie mondiale, on ne nous accorde qu’une attention in­fime, négligente. L’époque n’a aucun goût pour ce qui est ancien. Nous avons dépassé la date de péremption dans tous les domaines – sexuels, artistiques, poli­tiques. Nous sommes péri­més.

Or nous faisons nombre, nous faisons même foule. Nous n’y sommes que pour très peu : si nous nous reproduisons autant et aussi vite, prenez-vous en aux progrès de la médecine. Il est à prévoir que nous formerons bientôt, si ce n’est déjà le cas, la troi­sième moitié de l’humanité, peut-être même le troi­sième sexe - qui sait, un nouveau genre ? Attendez-vous à des changements considérables, une révolu­tion des mœurs et des habitudes. De nouvelles valeurs prendront le dessus. Le sens de la mesure, le bon sens, la fatigue sinon la sa­gesse, la lenteur, une len­teur conquérante qui prend toute sa place comme l’eau. Nous serons des hommes nou­veaux, des êtres aug­mentés, l’avenir sera à l’ancêtre bio­nique, au Surhomme en sili­cium, colonne vertébrale en ré­sines poly­mères et bite de kevlar extensible.

Je propose donc de monter la Ligue des amis du macaron mou, so­ciété anonyme à but non lucratif. Nos fonds seront reversés aux vieux écrivains impu­bliables, aux antiques chanteurs aphones, aux artistes qui peinent à soulever leur pin­ceau. On nous promènera en bus médi­cal d’estropiés en goguettes, potences, cathéters, drainages, perfusions, dialyses, pou­mons d’acier hilares, autobus en folie, rires inextinguibles. Il aura fallu tant de temps pour se réveiller. Faire partie de l’avant-garde des vieilles générations glorieuses. Être l’avenir du monde. La jeunesse ennuie, son idéa­lisme bâcle la vie. L’ado­lescent est un type sérieux. Il croit – en quelque chose. Nous ne croyons plus, nous savons, et c’est très amusant.

Nous n’avons plus d’espoir, et c’est de la santé. Nous n’avons plus de limites, nous mourons. Nous aimons enfin de bon cœur. Nous sommes la tendresse désolée du monde. Nous sommes le rire joyeux de la vie. Nous sommes des anges sans ailes.)

 

[à suivre] 

 

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