BILLETS DOUX – 1
Journal d’un homme de bonne humeur
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Nous sommes incompréhensibles – si quelque chose est à comprendre.
Je dois clarifier ma situation : une nécessité énigmatique de s'exposer – comme il se dit dans les contes de fée. Il va de soi qu'il s'agit de « ressenti » – formule météorologique attribuée ici à un climat intérieur : le sentiment d'infériorité initial de l’adolescent a basculé – après quelques constatations sagaces – dans une supériorité pleine de bonne humeur, car plus confortable mais pas plus légitime.
Ce qui m'a été confirmé par mon amie Roquette, me révélant (après une année d'observations studieuses (quelle femme scrupuleuse !)) que j'avais tous les symptômes fâcheux de cette nouvelle créature Marvel : le Surdoué – information qui ne m'a procuré aucune satisfaction, ayant une certaine suspicion contre toute forme de regroupement humain et quelques doutes sur la tendre objectivité de l’amour.
Il y avait à la Belle Époque aristocratique un certain duc qui ne dînait qu’en compagnie de ses valets dans les cuisines du château, considérant que personne au monde n'était suffisamment son égal pour partager sa table.
Une autre sorte de Haut Potentiel.
Certains parmi nous – sans doute après de longues études historiques – se plaignent à grands cris de vivre sous une dictature.
Par malheur, ils se trompent, et j’en veux pour preuve que plus grand-monde de nos jours n’a le goût de lire ni d’intérêt vrai pour les arts. À moins d’écrire ou peindre soi-même, comme des jeunes filles du XIXème en corset et robe à crinoline. Or il n’est jamais autant de passion authentique envers la littérature et la création en général qu’à l’ombre des dictatures. Que revivent les samizdats – ces manuscrits interdits de publication qu’on se passait de main à main dans toute la Russie soviétique muselée !
Que revive l’époque où penser soit penser au risque de sa vie.
Les éditeurs demandent grâce. Depuis l’An I du confinement jamais autant de manuscrits ne leur auront été adressés. Jamais non plus le nombre de livres achetés n’aura été si bas.
Que ces illustres inconnus commencent par lire avant d’écrire.