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Publié par Michel Castanier

 

Le bureau des migrations

 

Une fois seul à son arrivée matinale dans sa retraite, le cabinet noir dans les sous-sols du ministère, Toussaint ne manifeste d'abord rien du trouble de son esprit, ou si peu, à peine un frémissement, une gêne à se tenir droit, un vertige qui l'oblige à s'asseoir pesamment à son bureau, comme un homme fatigué, pour regarder la case du courrier. Une femme en noir, d’une fragilité de cendre, s’approche alors et le dévisage sans parler.

Après un frémissement furtif, Il soulève l'écritoire marquetée du meuble qui abrite un casier d’ustensiles de bureau, avec des compartiments étroits où tenir la calculette, les règles graduées, l'agrafeuse et les boîtes à trombones. Le bureau a un miroir sur le revers du plateau où bascule le reflet du visage sévère de la femme – sa supérieure.

Faisant écran de ses épaules, il tire enfin d’un compartiment secret le registre des migrations ; un classeur de cuir fauve à petit carreaux. La longue femme sans aménité, au visage crayeux, d'un maintien empesé, le réserve continûment sous le poids d'un regard sans pitié, toujours traînant à ses talons s'il se déplace dans la pièce pour chercher un dossier, toujours après lui à la moindre occasion.

Il tient pourtant ses listes à jour. Il rend compte, attentif à l’inventaire minutieux des nouveaux migrants, au recensement des territoriaux, au dépistage des clandestins. Il nomme et range dans ses listings. Il choisit son stylo préféré à l'encre bleue de ciel et se met à téter le capuchon. Il semble subir la femme sans y penser quoique parfois secoué d'un tressaillement quand son attention bienheureusement égarée dans les beautés du bureau la redécouvre à ses côtés comme une figure de son destin, une borne, une punition d'il ne sait quelle erreur, de quelle faute elle est le châtiment.

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