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Publié par Michel Castanier

 

Années 60

 

Ayant passé la tête à ma fenêtre, je me penche sur le pavé noir trempé de bruine. Une cycliste blonde, qui ressemble à mon amour sur un vélo à panier, arrive en zigzagant du fond de la rue, ses jambes nues en arceaux, un grand paquet-cadeau sous le bras. La jeune femme n’a pas l’air de me reconnaître. Elle dis­paraît sous le pont, du côté du cimetière enténébré.

Je renifle, songeur.

Où peut-elle aller ? 

Je me penche excessivement par-dessus la rampe, pour la chercher des yeux. Un petit peloton de cyclistes locaux tourne le coin en pédalant benoîtement. Ils papotent chiffons en pas­sant. L’un d’eux à l’arrière, relevant la tête, demande où est la belle vélocipédique. J’indique la direction opposée, me pousse hors de la fenêtre et ferme d’autorité les vitres, le téléphone fixe me sonne, j’accours et manque me prendre les pieds dans le fil.

« Tu devrais nettoyer ta fenêtre, me dit mon amour.

– Je n’ai jamais su.

– Tu n’as qu’à acheter un produit d’entretien et utiliser des chiffons. 

– Je me méfie des produits d’entretien et je n’ai pas de chif­fon. Je ne sais pas comment on fait un chiffon. »

Mon amour me l’explique.

« Je n’ai pas tellement de draps à déchirer. »

Puis j’y réfléchis.

« Peut-être le rose…

– Avec des Mickey imprimés…

– Et un liseré bleu…

– Ajouré.

–Où es-tu exactement ?

– Sous tes fenêtres. »

Je soulève le rideau, et mon geste de la paume pour nettoyer la vitre poussiéreuse fait des signes de salut.

Mon amour me sourit depuis la cabine téléphonique sur le trot­toir d’en face.

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