À l’emporte-vie – Livre vert sapin 2
Livre vert sapin
Manon entrait dans ma vie en boulet de canon, et en ressortait à la même vitesse.
Un jour où j’attendais le boulet je ressentais une sorte de furieuse tendresse, presque douloureuse – au profond – au plus profond de laquelle, j’aurais pu l’aimer, peut-être, et je m’assoupis sur le canapé de la jeune femme dans une mélancolie insondable qui faisait mes délices – sans réagir à la sonnette de la porte avant mon réveil en sursaut à cause d’un bruit de brique cassée.
« Viens baiser ! » disait Manon, quand elle eut passé par la fenêtre de l’étage à force de tractions par la gouttière,
et aussitôt virevoltant, sa robe printanière retroussée, elle voulait m'entraîner par la main je ne savais quel lit oriental,
« Rends-moi belle ! »
on n’allait pas si loin, elle se cognait le genou contre une bergère en toile de Jouy.
Assagie, elle s’agenouillait dessus, appuyée des coudes aux oreillettes, la tête enfouie dans ses bras.
« Je veux que tu me fasses mal.
– Ça consiste en quoi ? »
Il y avait devant nous la glace d'une commode où se reflétait la lumière d’un abat-jour et ma tête effarée. A genoux et si blanche dans le cristal dn reflet Manon riait, le bras passé derrière elle où elle touchait un furoncle à sa fesse gauche.
« Je veux que tu me domines. »
Je lui faisais les gros yeux.
« Fais-moi briller ! »
Je fronçais très fort les sourcils.
…
Puis nous partagions sur le tapis la même stupeur repue.
…
Une porte claquait au loin, Un bruit de pas dans les profondeurs de la maison nous réveillait.
Une femme s’immobilisait dans l’encadrement de la porte. Elle nous observait sans expression, puis tournait le dos.
« Qui est-ce ?
– Je n'ai jamais su. Ce n'est rien. C'est une vieille dame. »
J’avais froid. J’étais fatigué et triste. L’écho des pas s’éloignait et j’avais très envie de faire l’amour à nouveau, à cause de la fatigue, ou de la tristesse.
« Rends-moi mes clés. »
…
[à suivre]