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Publié par Michel Castanier

[Michel Rouquette]

Une saison inquiète

 

2 – Des nouvelles de la mélancolie

 

I. Square Antonin le Pieux vent de force 2 (1)

 

Au nom du dieu Nemausus

à l’Âge de fer celtique,

du temps des cabanes de terre crue à toiture en torchis soutenue par des poteaux de bois,

du temps de l’enceinte en pierre sèche et ses tours de guet, 

notre tribu de Volques Arécomiques rendait grâce à la source sacrée des Jardins de la fontaine pour nous avoir épargné les dévastations culturelles des éternels Teutons, des Cimbres faméliques et des troupes arvernes d’Aenobarbus.

Ces temps sont passés et un peu trop passés.

______

 

Titus ne sortait plus beaucoup de notre vieille cité aux 7 collines. La parfaite indifférence de la Nature à son égard le choquait. Au cours de ses promenades à trottinette dans son enfance la campagne était déjà une horreur,

ces arbres immobiles,

pensifs,

ou n’en pensant pas moins,

les montagnes muettes,

cette éternité que met un légume à pousser ! à peine un lapin qui court, puis un chasseur,

Titus leur préfère les chênes-lièges du square Antonin le Pieux chuchotant entre eux.

« Qui est ce monsieur qui passe en-dessous de nous ?

– Un rien vous étonne ! » remarque un frou-frou dans le massif des roses roses.

Et les fleurs chatouillées rient en chœur.

Le monsieur tournait à petits pas compassés autour de la statue de l’empereur romain Antonin saluant du bras le grand canal de la Cité des jardins. Un pigeon (si gros qu’il était peut-être un albatros), ses ailes vibrant d’émotion, s’envola, craignant un coup de pied. Et de fait, le passant s’enthousiasmait, il frappa du talon, agita les bras comme s’il allait voler à son tour. Sa chevelure savamment ondulée n’était plus qu’écume, son visage altier était tout rouge, ses yeux brillaient sous l’éclat de l’Inspiration.

La statue de l’empereur, se consultant avec les siens, conclut d’une voix de pierre que l’individu était un poète.

« Un poète sans maison d’édition ? demande la chorale des chênes.

– Il habite poétiquement un square, répondent les roses.

– À moins qu’il ne se réchauffe », conclut une jonquille.

Le colombophile tourna autour d’Antonin en poursuivant toute une bande de ramiers scandalisés.

Titus se tenait sur son banc favori, dans le square qui fleurissait de toutes ses dents, et il regardait courir le simple d’esprit agité.

« Les pigeons n’ont-ils pas été inventés par Dieu pour le bonheur des enfants ? » dit-il à ses souliers.

Il avait les jambes légèrement croisées, ses mains posées sur la canne, et il contemplait le monde avec circonspection. 

______

 

On ne vieillit jamais au bon moment. C’était effarant tous ces gens qui venaient au banc de Magnus sans la moindre précaution ou le croisaient dans le square ans aucun écart, si même ils ne s’arrêtaient pour lui parler – de plus, pour des considérations sans intérêt,

Si Magnus allait bien, et comme quoi eux-mêmes allaient bien, et pourquoi il faisait cette tête, est-ce qu’il ne les reconnaissait pas ? Ça va ? C’est sûr ?

et cette personne qui se prétendait son ami, un peu découragée, après l’avoir entretenu longuement de ses petites affaires, lui serrait l’épaule et s’éloignait enfin, d’un pas sautillant ridicule

– lui avoir serré l’épaule !

de longtemps Marcellus devait se reposer de ses émotions sur son banc, en face d’un troglodyte appuyé sur sa canne, comme chaque jour de l’année, de l’autre côté du bassin où Antonin trempait ses orteils de pierre

– banc que Magnus quittait aussitôt pour un autre,

certaine créature aussi échevelée qu’essoufflée s’étant assise près de lui après avoir coursé des pigeons, sans doute sur le point d’entamer une ode élégiaque au déplorable petit nombre de colombes dans la ville et au très grand nombre de vieux.

Ça va ?

Un jour de bonne volonté Magnus répondra vraiment et son interlocuteur, bien qu’un peu surpris, se penchera avec lui et ils réfléchiront ensemble à ce qu’il en est,

évaluant ce qui ne va pas, et pourquoi, et si c’est modifiable, estimant ce qui va et cherchant à en calculer les causes comme en prolonger les effets,

concluant qu’il vaut mieux ne rien changer, ou alors tout changer, et comment

– sur quoi ils se salueront poliment, soulevant les chapeaux, bien qu’ils n’aient pas de chapeau, et chacun ira son chemin, satisfait du devoir accompli.

 

 

[à suivre]

 

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