Une saison inquiète II – Des nouvelles de la mélancolie (27)

Avant-Garde – 2

« On nous promènera en bus médical d’estropiés en goguette ! cathéters ! drainages ! potences ! perfusions ! dia­lyses ! poumons d’acier hilares ! ambulances en folie ! rires inextinguibles !

(satisfaction intense)

« La jeunesse ennuie, son idéalisme bâcle la vie. L’adolescent est un type sérieux. Il croit – en quelque chose. Nous ne croyons plus, nous savons, et c’est très amusant. Nous n’avons plus d’espoir, et c’est de la santé. Délivrés de l’espérance et de l’aliénation d’avoir à trouver de la raison à quoi que ce soit, nous aimons enfin de bon cœur, sans arriérés, sans profit, sans usure ! Nous sommes le rire joyeux de la vie. Nous sommes la ten­dresse désolée du monde. »

Un tsunami d’applaudissements enthousiastes souleva l’assistance et la houle heureuse submergea d’émotion Justin Bourdon qui se leva pour porter à l’Avenir son sixième toast de la soirée.

« Pour preuve du succès de nos efforts thaumaturgiques, vous n’apprendrez pas sans satisfaction que j’ai reçu dans la matinée un appel de l'Armée de l'air. Ils voulaient me recruter.

(rires fous en cascades)

J'ai dit que je réfléchirai. D'ici à ce que la télévision fasse un documentaire en couleurs sur nos mœurs, lieux de prédilection et mode de reproduction ! »

Un ultime roulis de bonne humeur s’épand aux pieds de Justin Bourdon.

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Or il s’interroge depuis quelque temps. Il est tout de même curieux qu’on ne l’invite plus à dîner dans la ville chez les gens de bon ton. Il lasse. On le lui a fait savoir, il n’y a personne comme lui pour plomber une soirée par sa gaieté exubérante, son délire échevelé, ses paradoxes étourdissants, sa bonne volonté, il serait peut-être temps de ne plus se revoir de quelque temps, le temps qu’il apaise sa joie de vivre, – sa chaise lui est retirée de ces douces soirées.

[à suivre]