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Publié par Michel Castanier

Le dernier homme sur terre

 

 

« Non, je ne chauffe pas. Mon côté mâle Alpha. Je veux dire : chez moi, je ne chauffe jamais chez moi, n’ayant pas installé de radiateur électrique ni le chauffage central, pas de four­neau en fer où couver mon bois, pas de chaudière – pas de cheminée pour me réjouir rêveuse­ment à la vue de ses flammes tordues de douleur. Il est vrai que je ne paie plus ma facture d’électricité de­puis longtemps. » 

Adrien Cox ajoute dans un sourire radieux :

« Je ne crois pas en l’hiver. »

Ce manque d’amour de soi – ce com­portement anti­social – cet état d’esprit réac­tionnaire – lui est vivement re­pro­ché par ses amis enseignants en visite, bien au chaud dans leurs mou­moutes, moufles, et chapkas russes de ratons la­veurs.

« Tu n’es pas op­timiste. – Tu es négatif. – Tu es nihiliste.  – Tu n’as pas foi dans le Progrès hu­main. »

On va jusqu’à traiter l’hôte bienveillant d’avare – lui si dis­pendieux de lui-même, de ses mérites, de ses dons. Son grand ami Louis – maître de conférences éternuant et toussant au point de souffler déplorablement la seule bougie – le dit même in­humain. Cox serait inhum­ain de lui faire souffrir ce froid. Où vont se faufiler les droits de l’Homme ? A quoi bon évoquer devant ces fonctionnaires paisibles l’intransigeance dans le dépassement de soi, le su­blime dans le sacrifice, l’homme né pour le tour­ment, comme les étin­celles volent vers le haut ?

Cox rallume la bougie après avoir gratté une allumette.

« J’ai vu la lumière ! dit-il. L’hiver est un mythe. »

Le cercle de ces messieurs de la culture – ivre de fureur – se met à danser une gigue idiote de mou­moutes, moufles, et chapkas russes de ratons la­veurs autour du fauteuil orthopédique d’Adrien Cox.

« La mort aussi. »

______

 

La bougie s’éteint et les voix s’estompent, bizarres, un peu noyées, ou ensommeillées, et rauques, comme enrouées de sécrétions. Plus de visage dans l’obscurité, mais nombre de visages se superposent à la même absence de visage et passent.

Chez soi, répit ou refuge ? Avoir la passion des autres est suspect. La vie sociale peut nous être si hostile et si fausse qu’elle contraint de se figurer comme un recours stratégique une vie privée qui n’est que solitude phy­sique alors qu’elle est traversée d’une multitude de parasites des conversatons de la société résonnant dans un château vide. Où se cacher ? L’équilibriste avisé sort danser sur son fil de chanvre un pas amusé, bien qu’il soit rempli de terreur, et, les larmes aux yeux, il cherche à faire silence dans le déploiement d’une parole souveraine.

Cox n’a jamais été plus intelligent. Ce n’est jamais bon signe. Il ne peut que mourir.

 

 

[à suivre]

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