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Publié par Michel Castanier

La Lutte finale – 2

 

 

Quand ils se taisaient ils entendaient les moineaux discuter dans le feuillage des ifs et ce bavardage de la Nature sympathi­sait assurément avec leur tranquille entretien.

« Je disais souvent à nos élus – du temps que je siégeais – qu’un sys­tème social, comme tout système, crée ses exclusions, idiots ordinaires, malchanceux, aliénés, handicapés mentaux, pompiers, demeu­rés affectifs, bref tout ce qui n’est pas nous – à moins de rares échappées belles par l’Art.

– Madame mon épouse dit que j’aurais pu être un grand poète à en juger par ce que je lui murmure à l’oreille quand nous sommes au lit.

– Je n’en doute pas. Il va de soi que j’ai toujours caché au conseil municipal combien j’aime ces exclus du système – les pauvres – certains, en tout cas, qui se délivrent sym­boliquement de leur condition quand ils sont aussi prodigues et gaspil­leurs que les voleurs, lesquels manifestent par des lar­gesses ruineuses le mépris qu’ils doivent à leur acte (sans doute un retour para­doxal d’une morale d’enfant). C’est aux riches que les pauvres, s’ils sont donc dépensiers de leur joie de vivre, volent une vie qu’ils savent leur devoir contre de faibles rémunérations pour des tra­vaux journa­liers fas­tidieux ou pénibles. »

Ursus faillit se mordre la lèvre tant il était vexé d’une allusion aussi indélicate à la triste modestie du métier de Roger et fina­lement de toute entreprise humaine, à bien y réfléchir – le sujet était sensible, le Pouvoir d’achat, bien sûr, seul pouvoir à la portée des petites gens, en somme, il oubliait toujours le pouvoir d’achat dans ses mee­tings, on n’a jamais assez d’égards quand on s’adresse au peuple, il le mérite. Roger n’en parut pas conscient. Il avait l’air paisible sur l’appui du manche dans le bon air du cimetière. La pelle était calée dans la terre meuble dont l’odeur de fraîcheur était agréable.

« Vous imaginez bien que ce que je vous confie là, mon bon Roger, n’était pas des propos à tenir au conseil municipal. Comment faire admettre ma douce satisfaction à ce que certains miséreux, tout comme les cambrio­leurs, esprits indociles, se dépensent en fêtes nocturnes qu’ils finiront épuisés avant d’aller au travail, sans doute, mais contents d’eux par une forme de dédain supérieur pour les existences besogneuses auxquelles les vouent les riches – ces mêmes fortunés, siégeant souvent sur les bancs de nos élus municipaux, par ennui plutôt que par souci du bien public, adonnés aux conditions de leur classe et des codes de leur classe, n’ayant que des exis­tences opulentes de serviteurs de la fortune là où les pauvres dispendieux ont des vies ivres de maîtres, en somme maîtres d’eux-mêmes et maîtres des maîtres. »

Roger a repris sa pelle, hésité, l’a posée sur l’épaule.

« C’est compliqué ce que je dis, Roger, je vous l’accorde, mais la société n’est pas simple et le pauvre me comprendra, ou le voleur. Je suis en­tré dans ces considérations révoltées pour vous montrer fraternellement quel insoumis je pourrais être si je voulais et si je n’étais pas aussi riche, en quelque sorte oui, riche, l’oisiveté m’étant à présent l’occasion de me prê­ter à tous les rôles et de ne me donner à aucun, – ainsi en est-il de ma pos­ture préfé­rée si je croise un des usagers de notre cimetière, ancien électeur, veuve endolorie ou petit Poucet égaré d’une procession funé­raire familiale : l’honnête Homme généreux sou­cieux d’entretenir chacun de sa bienveillante compréhension du monde au moment de le quitter. 

– Dans le Blog du cimetière Madame mon épouse note avec beaucoup de scrupule le registre des nouveaux-venus. Il n’est personne pour s’égarer vraiment chez nous. »

 

 

[à suivre]

 

 

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