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Publié par Michel Castanier

VII. Un point d’Histoire

 

C’est péplum, aujourd’hui.

Un grand nombre de centurions encadrant des files de pri­sonniers Carthaginois, Ostrogoths, Goths et Vandales ont infil­tré notre vieille cité romaine en ce mois de mai et défilent devant le Café Carré. – Ce n’est pas tour de passe-passe temporel, ce sont Fêtes annuelles de la romanité.

Lever la tête de son café noisette et se retrouver au milieu d’une phalange de légionnaires abrutis de fatigue ne donne pas tout à fait l’impression d’une triste réalité mais plutôt que la réalité est truquée. Elle l’est parce qu’elle n’est jamais authen­tique, on s’y habitue, on s’en accom­mode, on oublie qu’elle ne fait pas vrai. – Voilà qui est une expérience majeure ! Croisons ensuite un peloton du GIGN en plein assaut d’une guérite de jardinier tenue par un Turc dément dans certain square, notre attention s’étant déshabituée de l’ordinaire des jours, nous n’y croirons plus. – Même une balle perdue s’enfonçant dans notre poitrine ne fera pas vrai, nous mourrons incrédule.

Serions-nous transportés par HG Wells dans sa machine à explorer le temps, nous ne verrions dans les troupes de Scipion qu’une bande de fichus figurants un peu poussiéreux conquérant une colline et nous passerions notre chemin, non sans chercher l’emplacement des caméras, des grues et des rails des trave­lings.  César, franchissant le Rubicon, en jupette et dans l’eau jusqu’aux mollets, ne ferait pas sérieux. Que dire d’Hannibal, des­cendant de son éléphant avec un léger hoquet à cause du mal de mer ? À ce sujet, qui de sensé irait croire à l’existence du hoquet ? Et de l’homme, donc ?

ERREUR FATALE ! ainsi que disait le premier ordi­nateur de mon adolescence, très nerveux, et nous voici méthodique­ment piétiné par une tor­tue, compacte formation militaire de migrants déguisés en cen­turions qui écrase tout sur son morne passage.

 

 

VIII. Cléo H24

 

Que des dames d’habitude très convenables, sous le prétexte d’une Fête de la romanité, soient soudain vêtues en esclaves de Rome soumises pendant tout le week-end d’une petite ville d’ordinaire pai­sible laisse rêveur, bien sûr, mais sans doute n’avaient-elles pas suf­fisamment médité ce que fut Cléopâtre, sautillant d’un pied sur l’autre, les mains dans le dos, sifflotant, moineau sur les pavés d’Alexandrie.

Plutarque, qui ne l’a pas connue, en témoigne. – Ou l’a-t-il rêvée ? Et c’est là où nous voulons en venir.

Imaginer, ou s’imaginer, tant qu’on y est, voilà la clé qui nous ouvre le secret de la réalité ! Elle est factice ? Faisons encore plus faux que faux – et nous toucherons au vrai !

Quand la Reine des reines – ou la Putain des putains, selon les historiens, rarement charitables – ne faisait pas sa gamine, Cléopâtre aimait se déplacer avec les siens dans un navire à la poupe dorée sous des voiles pourpres. – Un pédalo aurait suffi à l’homme du réel. Là donc, dans ce couffin de roseaux, du fond de sa bai­gnoire d’ivoire sous un dais d’or, entourée de brutes aux nuques tal­quées, déguisées en nymphes, en Néréides ou en Amours, la dame à la voix jolie, bercée par la crue des flots d’émeraudes du Nil, avançait toute nue à la cadence des flûtes, des lyres et des galériens.

Là, cette chère enfant, le bout de sa langue rose poin­tant sous l’effort intellectuel, écrivait sur ses tablettes en cristal des lettres très cochonnes avec fautes d’orthographes pour son Amant merveilleux, le cher Marc Antoine, dont on comprendra qu’il n’ait plus jamais cessé de cavaler en tous sens sur ce que Platon appelait le cheval de l’âme.

Ou plutôt, comprenne qui pourra.

 

 

IX. Amon

 

Je partage avec la reine d’Égypte sa conception de l’irréel. Les faits n’existent que pour les historiens. La vie n’est vraisemblable que pour les petites gens mécaniques. À ceux qui se lavent le regard la vie est un carnaval. Poudreux, costumé, bizarre mais charmant. Elle n’est que ça.

On peut s’en contenter et vivre dans le désordre des cou­lisses de l’Illusion, mais il y a mieux. Il suffit d’en rajouter. À ceux qui ont de l’imagination l’existence sera la Société de la vie non pareille que surent inventer Antoine et Cléo pour fêter leurs amours. – Luxe, excès exquis et volupté ! Au pire (quand il fau­dra y renoncer – quand il sera temps de s’offrir à la mor­sure du cobra d’Amon-Ré, conférant la divinité), nous autres qui savons que vivre est une scène jouée par des masques à deux faces, comique pour les savants et tragique pour les idiots, nous entre­rons à notre tour dans la Société des Synapothanu­mènes : la Société de ces deux-là – le consul romain et la reine d’Egypte – qui vont mourir ensemble s’ensuivit tout naturelle­ment, au pied des pyramides, quand arrivèrent les féroces armées d’Octave, gens sérieux et de bon sens sous les lumières des milliers de flam­beaux de l’imagination.

Notez que je n’ai pas parlé de son nez.

 

 

[à suivre]

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