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Publié par Michel Castanier

XI. Coulisses

 

Il faisait au matin un de ces temps gris et très doux favorable aux lectures approfondies, aux méditations philoso­phiques, aux rêveries entre deux chaises-longues sur le balcon d’un parc.

Nous savons bien que rien n'est écrit sans qu'il y ait quel­qu'un d'entrelacé au texte. On ne peut écrire seul, il faut au moins un compagnon de route. Il y faut quelqu’un qui ait l’autorité d’une Pythie pour nous convaincre de nous-même. Pour per­suader l’en­fant illégitime qui est en nous.

Il y faut un geste délicat. Un mot juste. Un souffle. Une grâce ! Ariane !

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En vérité, il est bien connu, le rétrécissement vertigineux de la cour d’école de notre enfance quand le retraité ennuyé déambule sans plus savoir quoi faire de sa vie et se sent saisi d’une chaude émotion puis d’un peu de déception après être passé par certain petit portail au bois peint en bleu à présent écorné, éraflé, tagué

– au-delà de quoi est la minuscule cour de son enfance à la communale.

Autre­ment dit, et moins lon­guement que je ne l’ai dit il y a peu, il se pouvait que la réalité fût comme les cours d’école et leur maîtresse à géométrie variable : un peu étriquée quoique émouvante.

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En toquant du dos de l’index, Guss écoutait anxieusement le son creux ou plein de ses phrases, ce casse-tête à l’assemblage si subtil, cette terre glaise mal­léable dont il était le tourneur appelé à modeler les coupes où loger la liqueur d’une bonne idée, une fois la pâte cuite au four du talent.

La phrase accomplie – la moindre mise en ordre apaisante – n’était le plus souvent qu’un leurre de plus, une fois trans­crite : recti­fier ses traits au miroir d’une page où se voir beau était un effort de nageur épuisé dans une flaque d’eau.

Intellectuellement, Romuald Guss vivait au-dessus de ses moyens.

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Il ne savait pas à quel point ra­conter des his­toires est dangereux. D’une certaine façon elles ab­sor­bent ; on y dispa­raît, corps et âme – et avec nous, ceux qui sont alentour.

C’est ainsi qu’à l’entrée dans sa minuscule salle de bain ce matin-là Guss avait vu un kraken étalé de tous ses tentacules dans la bai­gnoire. L'effet de cette apparition sur sa petite personne fragile était magique. Ainsi la pierre de touche d’un riche vocabu­laire suscitait des mirages ? – Romuald s’amusait beaucoup dans sa compagnie, il serait dommage que personne n’en pro­fite. Le voilà confirmé dans son grand Fauteuil d’écrivain – à l'état statique qui lui convient avec stylo à pointe fine, pantoufles, bougeoir et bonnet de bain.

 

 

[à suivre]

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