1001 Vies (583) : Le Déluge et Darius Chopineau (3)
2
Darius Chopineau ne laissera personne dire qu’avec l’âge se produit une régression de la libido.
Bien au contraire, elle se dissémine.
Perdant son caractère local (le bas-ventre), elle occupe tout l’espace. Les femmes ne sont plus considérées sous leur aspect fonctionnel mais, plus librement, dans leur nature érotique. Un retour à l’enfance s’opère. Nous retrouvons le sérieux bouleversant du jeu du docteur. Les plaisirs éblouissants du comme si. Les labyrinthes troubles de l’ambiguïté.
La sensibilité est à nouveau entièrement érogène. Les pulsions primaires sont vaporisées dans l’air d’une place publique où des dames passent et repassent, l’excitation est vague mais vaste et une érotisation se diffuse et parfume l’humanité féminine.
Assis sur le banc favori, appuyé sur la canne, fermer doucement les yeux et laisser se dissiper le sujet sensible.
3
Il a hanté bien des miroirs au cours de sa vie de fantôme, donné des coups sourds et mélancoliques dans les murs, bougé des meubles, marmonné des mots sans beaucoup de sens à l’oreille du vent, il s’est souvent pris les pieds dans son linceul, il a écouté avec stupeur la ferraille du déroulement de sa chaîné, tiré par les pieds les dormeurs, pas mal de femmes en témoigneraient – avant de comprendre qu’il était lui-même le fantôme du château, avant de s’exprimer exactement, avant de dire l’amour, avant d’oser dire de l’amour, quand il connaît Candice toute rousse, ce jour-là ces jours cette année-là, quand ce fut enfin aimer, quand il a la révélation de son prochain, d’une existence qui n’est pas la sienne, quel étonnement, quelle merveille, quelle raison d’être ! ces instants où il a cessé de se prendre pour lui-même, où il s’est pacifié, se tenant à la bonne distance de lui-même et des autres, cette année qui est toute une vie où il apprend à aimer le joyeux malheur d’aimer Candice.
[à suivre]