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Publié par Michel Castanier

Maman et Moi (18 et fin) feuilleton

19

Il me semble qu’il y a eu quelque chose entre nous hier, quand elle est passée m’apporter mes poireaux.

Je reconnais comme autrefois ces échanges de regards étonnés, ces sou­rires fragiles, je me suis dit elle me revient, je n’étais pas si content, je ne cher­cherai pas à en savoir plus, il fau­drait agir, je décevrais.

Elle a attrapé un petit spleen qui pas­sait par là comme un rhume, Tu comprends, Daniel, il faut savoir replacer les pièces d’un puzzle qui n’est jamais ter­miné, Je ne me ma­rie plus, Daniel.

Maman est bonne, c’est un être un peu craintif, un peu maladroit, mais un être bien, un être accommodant, et peu à peu les gens autour d’elle sont pris d’une gêne affreuse à l’idée de se mal conduire avec une si gentille personne et ils la quittent aussitôt. Qu’elle ne soit pas malheu­reuse, mon petit puzzle, je sais bien que ce ne sera pas un soulagement mais il y a un chez moi pour elle dans mon cœur, la pièce qui lui manque.

Je ne veux plus y penser, je n’y pense pas, ces tourments, ces pensées qui m’ont scandalisé se modèrent et se relâ­chent, je ne crie plus, je suis mieux, je suis un Homme fort comme on dit au bar des Halles, je lézarde aux terrasses de la ville, grand lézard vert en manteau rouge, rentre long, lent, pensif, suivi par ma grande ombre sau­tillante, personne ne sait le secret du grand lé­zard : la loi divine est le bonheur.

Un jour maman n’aura plus rien à faire et il lui faudra quelqu’un pour ne plus s’ennuyer, je serai à nouveau ce quelqu’un mais je ne serai plus là, j’ai réfléchi, c’est mon tour, je quitte la ville, c’est dé­cidé, j’aimerais voir maman une ultime fois par hasard, la voir pour de bon, pour de vrai, une bonne fois pour toute, la re­garder, et tourner les talons, la vie est mal foutue.

20

J’ai tourné les talons, mon appartement a été vendu, la signature s’est faite, j’ai eu une étrange, une inattendue tris­tesse à quitter ma chaise comme si je me disais adieu, je me suis dé­tourné et j’ai dimi­nué à l’horizon, sifflotant, mes mains dans mes belles poches.

Et je suis allé loin, le plus loin que je puisse imaginer et là je lui ai téléphoné Je suis loin et je lui ai demandé si je lui manquais, elle a fini par dire Oui, si elle m’aimait, elle a fini par dire Oui, j’ai cru lui arracher une dent, et là je lui ai dit que je ne reviendrai plus.

Et là elle a craqué, c’est une biscotte cette femme, même si elle ne le reconnaîtra jamais.

(fin)

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