La Geste du potager (20)
Cependant, des pistils manipulés grâce au gène de la fluorescence chez la méduse fleurissaient dans les parterres : de mystérieux pétales phosphorescents aux lumières de quartier louche dans la nuit.
Arthur auscultait ses ongles, grattait longtemps avec la pointe d’un canif la terre dans sa ligne de vie.
– Il nous faudrait un miracle.
Bertille tuteurait ses dahlias, son hennin de paille calé sur les sourcils, concentrée, muette, sans doute perdue parmi les cannes de bambou.
– Tu comptes que je t’adopte ?
Arthur n’était plus aussi tranquille, aussi limpide qu'il y semblait quand Bertille l'accompagnait au matin jusqu’à l’abribus, sans doute pour s’assurer qu’il partait.
Il y eut bientôt un événement digne des périodes troublées.
Quoique ce fût impossible, le pommier foudroyé reprit vie : un frémissement, une vigueur nouvelle, comme un infime rééquilibrage intérieur, une aimable disposition, furent perceptibles.
Des bourgeons naquirent aussitôt, puis ils éclatèrent en feuilles très tendres, si menues. Il s’ensuivit des fleurs neigeuses à une vitesse euphorique, et des fruits à leur suite, échelonnés comme dans une fugue, une multitude de grosses joues rouges.
Tant de spontanéité, chez cet arbre fruitier qui semblait n’avoir aucun sens de l’alignement sage des saisons, donnait à penser.
– La résurrection du pommier est un signe grandiose, quoique mystérieux, la trace d’une réprobation divine à l’égard des laboratoires, dit Arthur, très ému.
Bertille, vivement contrariée, trépidait à travers le jardin, un panier de bulbes transgéniques dans le berceau de ses bras. Elle n’appréciait pas beaucoup cette impulsivité désordonnée, ce passage à l’acte dans son propre jardin. Cette floraison sans cause apparente, cette bonne humeur du pommier, cette « gaieté de zozo » lui en rappelait une autre, disait-elle à son entourage…
– Nous sommes dans un désaccord profond avec Arthur.
Il ne l’appela plus que mon cher Désaccord, mon bon, mon doux désaccord.
L’Etude exposa une édition originale du Réceptacle véritable – cette œuvre d’horticulture passionnante de Bernard Palissy où le psaume 104 décrivait les œuvres excellentes et merveilleuses de Dieu. Arthur entretenait chacun des visiteurs, joyeusement, de la confiance miraculeuse du pommier. Il y avait là une illustration du Réceptacle, qu’il proposait de méditer.
Les bibliophiles lui tapotaient l’épaule avec gravité ou se réfugiaient dans l’analyse de l’édifice subtil et léger d’une infinité de roses cent feuilles qui depuis peu fleurissaient le bord de la rivière.
Bertille trouva bientôt Arthur en prière sur le lit conjugal, à genoux sur le seuil de la réserve rose, ou sur le ventre et les bras en croix dans la terre du potager – ce qui n’était jamais, selon elle, qu’un prétexte pour ne rien faire.