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Publié par Michel Castanier

La Geste du potager (20)

Cependant, des pistils manipulés grâce au gène de la fluo­res­cence chez la méduse fleurissaient dans les par­terres : de mystérieux pétales phosphores­cents aux lu­mières de quar­tier louche dans la nuit.

Arthur auscultait ses ongles, grattait longtemps avec la pointe d’un canif la terre dans sa ligne de vie.

– Il nous faudrait un miracle.

Bertille tuteurait ses dahlias, son hennin de paille calé sur les sourcils, concentrée, muette, sans doute perdue parmi les can­nes de bambou.

– Tu comptes que je t’adopte ?

Arthur n’était plus aussi tranquille, aussi lim­pide qu'il y sem­blait quand Bertille l'accompa­gnait au matin jusqu’à l’abribus, sans doute pour s’assurer qu’il partait.

Il y eut bientôt un événement digne des périodes trou­blées.

Quoique ce fût impossible, le pommier fou­droyé re­prit vie : un frémissement, une vigueur nouvelle, comme un in­fime réé­quilibrage inté­rieur, une aimable dis­posi­tion, fu­rent per­cep­tibles.

Des bourgeons naquirent aussitôt, puis ils éclatèrent en feuilles très tendres, si menues. Il s’ensuivit des fleurs nei­geuses à une vitesse eupho­rique, et des fruits à leur suite, éche­lonnés comme dans une fugue, une multitude de grosses joues rouges.

Tant de spontanéité, chez cet arbre fruitier qui sem­blait n’avoir aucun sens de l’alignement sage des sai­sons, don­nait à penser.

– La résurrection du pommier est un signe grandiose, quoique mystérieux, la trace d’une réprobation divine à l’égard des laboratoires, dit Arthur, très ému.

Bertille, vivement contrariée, trépidait à tra­vers le jar­din, un panier de bulbes transgéniques dans le berceau de ses bras. Elle n’appréciait pas beaucoup cette impulsi­vité désor­don­née, ce pas­sage à l’acte dans son propre jardin. Cette florai­son sans cause apparente, cette bonne humeur du pommier, cette « gaieté de zozo » lui en rappelait une autre, di­sait-elle à son en­tourage…

– Nous sommes dans un désaccord profond avec Arthur.

Il ne l’appela plus que mon cher Désaccord, mon bon, mon doux désaccord.

L’Etude exposa une édition originale du Réceptacle vé­ri­table – cette œuvre d’horticulture passionnante de Bernard Palissy où le psaume 104 décrivait les œuvres ex­cel­lentes et merveilleuses de Dieu. Arthur entretenait chacun des visiteurs, joyeuse­ment, de la confiance miracu­leuse du pommier. Il y avait là une illustra­tion du Récepta­cle, qu’il pro­posait de mé­di­ter.

Les bibliophiles lui tapotaient l’épaule avec gravité ou se ré­fu­giaient dans l’analyse de l’édifice subtil et lé­ger d’une infi­nité de roses cent feuilles qui de­puis peu fleu­rissaient le bord de la ri­vière.

Bertille trouva bientôt Arthur en prière sur le lit conju­gal, à ge­noux sur le seuil de la réserve rose, ou sur le ventre et les bras en croix dans la terre du potager – ce qui n’était ja­mais, se­lon elle, qu’un prétexte pour ne rien faire.

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