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Publié par Michel Castanier

Des nouvelles de la mélancolie : Le Pavillon des servitudes (8)

8

Le maître a bientôt traversé une mauvaise passe que Justine attri­bue à des doutes qui étonnent d’un écrivain consommé. Il dort beaucoup, crée peu ou rature indéfiniment.

– La page te paraît d'abord lisse et brillante et close comme une noix. Un défaut – et au moindre tapotement du burin, ce sont mille fendillements. Il n'y avait rien sous la coque.

Il accapare un instant le livre policier que Justine lit, le re­jette avec un rire.

La portière s'ouvrit ; les quatre malfrats dégoulinèrent. C’est du Saint-Simon !

Il y a de l’envie dans son regard. Un peu plus tard, il re­pousse sans aménité son manuscrit – Aimable, légère – qu'il a en­core une fois feuil­leté de ses doigts gourds, ferme les yeux et semble s’assoupir, mais Justine sait à une certaine tension qu’il ne dort pas. Elle a déjà vu un homme mort allongé sur un trottoir – ce poids et pourtant cette absence.

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Revenu à lui, ses façons de faire, feutrées, insidieuses, lan­cent bientôt le maître admirable dans de com­plexes con­sidéra­tions métaphysiques d’où, tombant comme un aigle du haut de l’aire d’une généralité grandiose sur le pe­tit détail pal­pitant – les sodomies de Justine – il demande si cette grande affaire des hommes lui est arrivée souvent.

– Il n’y a que les enfants pour croire qu’on fait l’amour par là ! s’écrie-t-elle, indignée.

Il la considère avec une stupéfaction sans limite. Elle porte la main à sa bouche dans un geste d’embarras, la laisse lente­ment retomber et se tait avec cette perplexité rêveuse qui lui est si particulière.

Le Sur Moi de Justine est comme un chapeau pointu trop pe­tit pour sa tête. Elle est toujours en train de le remettre d’aplomb, de s’assurer qu’il est bien là, de le rattraper avant qu’il ne lui tombe sur le nez.

Mamore se perd déjà dans des détails singuliers, confus, ex­centriques, minutieux, maniaques – si bien qu’elle se met à pleurer, effrayée.

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Rien n’a prévenu Justine contre son ami Mamore, rien ne lui a appris à se méfier de la littérature.

Il y a lieu de s’inquiéter de la nature de ce livre que l’immortel auteur écrit avec tant de fiévreuse application. Il ne semble pas des plus recommandables, dira Grand-mère, et la vieille dame, un livre de l’étrange ami de sa petite-fille à la main, aura ce sourire semblable à celui de sa petite-fille : peut-être par des impressions de lu­mière et d’ombres sous le parasol publicitaire du Café de la plage, il est parfois triste, légèrement las, et même mé­lanco­lique.

(à suivre)

# nouvelles # récits # fictions

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