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Publié par Michel Castanier

Robert Jahns

Morale

 

 

J’ai entrepris le Journal de ma correspondance avec ma­dame Bovary pour faire connaître la déplorable con­dition des amants imaginaires. Ma fable détient une morale.

N’arpentez pas le territoire sans chemins du conte. Le chemin c’est le corps. Il condamne ou il sauve.

Mon Emma d’amour, il t’est littéralement tombé dessus une fréquentation inouïe et qui cor­respondait aux vœux de ta jeu­nesse, je le crois.

Tu étais à l’âge des bilans une femme de devoir.

Tu cherchais à respirer encore un peu. Et même tout à fait, amplement. Un air neuf, joyeux et tendre. Une seconde vie.

Tu t’es reflétée en moi et tu y étais heureuse, comme en­fin accomplie selon ta jeunesse intel­ligente et rê­veuse. Achevée en ta personne de femme – et plus seu­lement comme épouse et mère, ces conditions rigou­reuses de l’espèce.

Qui a reculé le plus, de toi ou de l’amant ? L’amant, sans doute, a été le plus lâche – mais qui a voulu le seul refuge du silence, ce silence mortel, ce meurtre – et ce deuil ?

Tu étais trop secouée, trop fragile ? C’est vrai, et tu as re­fermé sur toi les murs de ton foyer – l’ordre mortel du foyer. Et peu importe si, aujourd’hui, tu as d’autres amusements, d’autres inté­rêts, d’autres passions – ce jour-là, ce jour de capitulation, confirmant qu’on peut vieillir en une nuit, tes beaux cheveux roux sont deve­nus blancs.

C’était une option, pas la plus catastrophique. La moins belle. Il est donné à peu d’être joyeusement ex­travagants. Ceux-là sont des natures heureuses, ils meu­rent jeunes.

Qu’en est-il de moi, aujourd’hui, entre les amants heu­reux puis désolés ? Il a été donné une chance au so­litaire. Celle de raconter leurs tribulations à travers l’étrange liberté de leur corres­pondance et le dé­senchantement qui s’en est suivi. L’ouvrage est long et ceux qui ont eu la pa­tience de me suivre parviennent à sa fin et à la fin des amours qui est toujours la fin d’un monde, sinon la fin du monde. Entre­temps, nous aurons ri et pleuré avec eux, nous nous serons désolés, rassu­rés, effondrés de tristesse. Nous aurons vécu, en somme, de la seule vie qui vaille : la vie littéraire. C’est un secret que nous sommes peu nombreux à con­naître.

 

Ça y est. Le silence se fait à nouveau.

Voilà. C’est fini.

Un remous à la surface.

Une ultime bulle.

Le crime est consommé.

Le crime d’amour.

Il n’y a plus rien là où il n’y avait rien, de toute fa­çon, rien de rien.

Jamais rien.

 

                                   

                                                                      FIN

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