2 de couple sans barreur – Le Champion local de marche à pied – 4
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Ayant quitté le Grand Café de Max après l’apéritif, après avoir salué le patron, promis de repasser, ri, hurlé une plaisanterie, claqué dans la main du serveur, du cuisinier, des joueurs de belote (comme il a changé ! disent-ils), Marcelin saute du ponton et il va et il vient de sa démarche détraquée, décrivant des cercles rapides qu’il coupe par de brusques absides – raccourcis nerveux, sans beaucoup de raison apparente.
– Il me donne l’impression de marcher entre deux infirmiers psychiatriques, dit Max qui l’observe depuis le ponton de son café.
Zoé sur son vélo passe à la limite des vagues dans une multitude de coups de pédales obscurcis par le scintillement des eaux. Le champion se laisse rattraper et demeure un instant à hauteur du vélo.
– Tu es trop bien pour moi, dit-il, le souffle égal. On ne boxe pas dans la même catégorie.
– Tu as tort, dit Zoé en pédalant à sa suite, les verres de ses lunettes embués de sueur. Je suis sportive et très attirée par l’art du plongeon.
Elle heurte un lampadaire. Marcelin est déjà loin, suivi d’une traine de poussière et de sable. Zoé diminue derrière lui, son vélo voilé sur l’épaule.
Avec la fin de l’après-midi des groupes d’estivants remontent de la plage par les rochers qui contient l'avance de la mer. Des volleyeurs jouent encore de part et d’autre d’un filet devant des filles allongées dans les dunes tièdes. Les circuits du ballon décrivent par-dessus les rochers l’horizon bleu, et le cœur triste de Zoé, courbée sur le vélo réparé par son oncle, fait autant de petits bonds silencieux.
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Marcelin semble depuis peu redouter d’être assis en face d’elle. S’il est couché, c’est sur elle, ou bien il dort. Plus que jamais, elle lui offre des fleurs comme à une fille ! Si farouche et réservée, elle lui lave son linge ! Si peureuse, elle lui ramène de belles chemises de marque qu’elle vole aux grands magasins, ou si gourmande, des biscuits riches en fibres et magnésium, qu’il dévore en se laissant caresser !
Le champion a désormais un emploi du temps irrégulier, de jour comme de nuit, des heures changeantes dont Zoé, pédalant avec fureur, ne saisit jamais tout à fait l'ordonnance. Il lui arrive de le retrouver à la sortie de son club de gymnastique, en compagnie d’un pack de jeunes intellectuels qui ont tous L'Equipe sous le bras et l’entourent avec admiration, à moins que Marcelin ne marche à vive allure sur les pistes, s’il n’est pas comme ce jour-là de nouveau dans les gradins des présidentielles du stade Jean Bouin.
L’ourlet de la paupière clignote vivement à l’arrivée de Zoé.
Des mouettes se posent sur la partie de la pelouse qu’un groupe de footballeurs déserte à la poursuite du ballon. La formation ailée s'élève au retour des joueurs pour s'abattre ailleurs dans l'herbe abandonnée, le plus souvent près de la cage d'un portier qui a une casquette à l'ancienne et des mitaines en dentelles noires de grand-mère.
Le goal frappe dans ses mains ou du talon sur un des poteaux. Il redresse la visière de sa casquette de l'index, le nez en avant, quand l'action s'embrouille devant la cage adverse. Il a de tous côtés de rapides et gracieux mouvements de ses jambes grêles lorsque le ballon se rapproche, puis il se recule avec un geste de dépit quand son équipe éloigne le danger. De temps à autre, il se tourne pour communiquer une réflexion à sa petite cour, un groupe de garçons assis en ligne sur le gazon derrière les filets et qui hochent la tête en cadence.
– C'est une fille ! dit Zoé.
Marcelin sourit béatement.
– C’est Nana !
Ne dirait-on pas que Zoé lui a fait ce que L'Equipe qualifierait de passe lumineuse ?
– C’est ma Nana.
Zoé observe à la suite d'un long silence boudeur qu’elle aimerait volontiers cette Nana s'il la lui présentait, et qu’elle l'aimerait « comme on s'exerce à un exploit sportif, avec énergie, avec héroïsme ».
Marcelin réfléchit, y met cet effort scrupuleux qu’elle lui connaît, qu’il a toujours mis pour lui répondre, et finalement, il consent à s’expliquer…
Evidemment, Zoé dit exactement tout ce qu’elle n’aurait jamais dû dire, le sait et ne peut s'en empêcher, ce qui n'est pas sans provoquer chez le champion, les mains relâchées entre les cuisses, une certaine bouderie.
– C'est dans les mauvais jours qu'on gagne le Tour.
A la sortie du stade, le jeune sportif part son étrange pas allègre et incohérent, suivi de Zoé toute rouge, pédalant avec fureur.
Canots, mouettes, écume et jeux de ballon sur le plan d’eau du lac Eléphantine ...
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Zoé est allongée sur le bord de la piscine du Grand Café au milieu de ses amies abandonnées dans leurs chaises-longues aux torpeurs des héliotropismes. Elle parle de ces « nuits olympiques » qui se sont éloignées comme de frêles tintements de cloches diminuent dans le ciel. Ses jambes ont de curieuses saccades nerveuses.
A l’idée de ce passage précaire sur terre et que le mélancolique champion local de marche à pied traverse avec le tournoiement de notre planète les immenses espaces intersidéraux d’un air sérieux, imperturbable et très concentré, pour finir par s’abolir dans l’oubli, comme si rien n’avait eu lieu, parce que rien n’a eu lieu – le chœur des copines se disperse en rires comme une nuée de sorcières.
Max a fait pratiquer la piscine lorsqu’il a augmenté la surface de ses biens. Cette nuit-là la planche humide d’un plongeoir vibre longtemps sous les magnifiques triples sauts périlleux de Zoé. Max distillera ainsi qu’à son habitude les suggestions ingénieuses et les remarques les plus fines qui lui viennent sans fin à l’intention de ses habitués.
– Le plongeon est une discipline subtile. Il arrive que nos petites sportives aient à la puberté une distraction dans leur saut, une absence, un trou en plein ciel, qui les fait dégringoler sans plus se souvenir de ce qu’elles sont censées faire là-haut.
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(à suivre)