Monsieur Hortense – 4
Il est déjà improbable d’avoir vu un mort sortir de l’immeuble du 14. L’évènement aurait été une fêlure dans votre esprit, mais la fêlure devient une crevasse si elle est partagée par la police municipale. Vous n’êtes plus personnellement concerné.
De quelque temps, d’ailleurs, il ne se passe plus grand-chose. L’Apparition – passagère – n’est décidément pas un de ces signes funestes qui annoncent la fin du monde dans les films catastrophes que vous aimez tant. Le seul trouble qui continue de frémir – une eau sur le point de bouillir – à la surface policée de votre vie est, à tout prendre, bien plus inquiétant et plus dévastateur, sinon pour la ville du moins pour vous. Il concerne le comportement d’Eva qui ne cesse plus de se dérégler.
Il fait exceptionnellement frais en ce mois d’avril et, assis à la terrasse du bar des Antonins, vous vous imaginez un Cro-Magnon à peine sorti de sa caverne. Vous avez froid à vos pieds nus couverts de terre, la fourrure d’ours à vos épaules ne suffit pas, le feu est éteint. Un peu de brume. Les grands séquoias sombres. Les fougères géantes immobiles. Un certain creux à l’estomac. La terrible vacuité de la journée à venir. Que faire ? Penser, bien sûr. Par malheur, penser.
C’est alors qu’elle sort du 14 et chasse cette matinée fatidique qui aurait vu les débuts de l’Histoire.
Elle ne sort pas comme ça. Il serait plus juste de dire qu’elle marque un temps d’arrêt, perceptible à ce que la porte reste un instant entrebâillée, comme si elle se cachait dans l’obscurité du hall pour observer au-dehors. C’est une prudence qui lui est habituelle depuis peu.
Une seule fenêtre au 14 est franchement ouverte et comme nue à cause de l’absence de rideaux. Une tête de chien regarde la place.
[à suivre]