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Publié par Michel Castanier

Chronique de Nîmes : les romans gris
Michel Rouquette

 

 

La porte d’entrée s’ouvre à peine plus largement, mais c’est suffi­sant pour qu’Eva passe, si pe­tite et menue. Vous croiriez qu’elle sort en nuisette s’il n’y avait le bibi penché sur l’œil et de précieuses bottines à ses pieds nus. Elle s’éloigne à pas ra­pides, se retour­ne de temps à autre, prenant pour pré­texte d’avoir croisé un chat ou re­marqué le fronton sculpté d’une porte co­chère, particuliè­rement intéressant. Elle s’attarde de­vant une vi­trine, guettant à travers son re­flet, et vous devez vous cacher.

 

Vous savez le plon­geon une discipline sub­tile. Il ar­rive que les petites spor­tives aient à la pu­berté une dis­traction dans leur saut, une ab­sence, un trou en plein ciel, qui les fait dé­grin­goler sans plus se sou­venir de ce qu’elles sont censées faire là-haut. Une immense plon­geuse a les jambes en l’air et la tête prise dans le trottoir, parmi l’alignement des platanes du canal.

 

Une nymphe des eaux a vécu dans la source aux Jardins de la fontaine autrefois. Vous ne doutez pas que cette métamor­phose amoureuse dans un grand morceau de bois soit la punition voulue par un vieux dieu jaloux. Vous vous écartez de la nymphe pour suivre les pas d’Eva.

 

Dès la première fois où vous l’avez vue vous avez opéré men­talement en mode rapide – ainsi qu’une fleur éclot dans un film accéléré en quelques se­condes et meurt – le rajeunis­se­ment et le vieillis­sement du visage et de la sil­houette d’Eva Langhordini – avec son nom de voi­ture de sport luxueuse et son prénom de femme fatale. C’est un don que vous avez et, dans ce cas, c’est très émou­vant. Il vous a semblé passer votre vie avec elle, y ga­gnant une affection quasi fami­liale sinon érotique : une bien­veil­lance de père et une indul­gence de vieux mari.

 

Bien avant que vous ayez re­marqué Eva, vous ne voyez plus les femmes, vous les transverbé­rez, en quelque sorte, quand elles passent de­vant votre table aux terrasses de la ville. Il est vrai qu’elles vous le rendent bien mais vous avez sur leur exis­tence le regard pa­noramique et ex­tratem­porel de votre logiciel interne. Le plus souvent – au cours de cette existence pres­sée en leur com­pa­gnie – les modifi­ca­tions phy­siques vous émeuvent, mais vous voyez aussi la vie quo­tidienne, les pe­tites ha­bitudes recon­duites, les ma­nies, le maniérisme, la ba­nalité sans re­mède. Seule la pe­tite fille en elles trouve grâce, l’enfant n’a pas eu le temps d’être en­nuyeuse.

Vous n’avez plus essayé votre logiciel sur personne dès que vous avez rencontré Eva, vous n’êtes pas près de quit­ter votre épouse mys­tique.

[à suivre]

 

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