Victor Redon, un homme dans la foule – 22
– Et maintenant, c’est notre chambre que vous allez visiter, je suppose ?
– N’y voyez pas de mal.
Le lit était fait. Les oreillers dodus et fleuris. La tapisserie parsemée de nuages, de nains et de princesses. Les stores clos bleutaient la lumière. Robert eut la tentation de se poster à la fenêtre d’où il aurait une vue dominante sur le chemin mais il s’en garda. Une association d’idées déplorable avait failli le déstabiliser alors qu’il s’imprégnait de l’atmosphère, appréciait la délicatesse et le charme des lieux. Myriam l’observait avec circonspection.
– Vous avez des manières de cambrioleur.
– Je ne comprends pas.
– Vous regardez si intensément chaque chose. C’est presque inquiétant. Vous donnez l’impression de les évaluer pour plus tard : quand vous reviendrez dans la nuit avec votre passe-montagne.
Il essaya de rire mais n’y parvint pas. Elle n’en fut pas vraiment déçue. Ils ne se regardent absolument pas. Leur respiration n’est pas du tout ce qu’elle devrait être. La chaleur ni la montée dans l’escalier n’y sont pour rien.
– Ne vous y trompez pas, je vous reconnaîtrais. Ai-je moi-même de la valeur ?
– Vous êtes précieuse, assurément.
– De ces choses qu’un voleur emporterait sous le bras ?
Il eut l’impression de rougir. Une chaleur aux joues bien plus condensée que la chaleur ambiante. Un concentré d’embarras, effectivement comme s’il était surpris le visage nu dans la nuit de ses pensées, la main sur un objet de valeur. Il trouve cette main excessivement grossière. Velue. Un peu écœurante. Il était trop tard. Myriam l’avait déjà saisie.
Plus exactement elle l’avait appuyé sur ses seins et posait son front contre la poitrine de Robert.
– J’ai un peu peur, chuchota-t-il.
– Moi aussi.
– Alors nous aurons peur ensemble.
Ils se renversent sur le lit et se déshabillent d’un seul mouvement qui contient toutes les pièces de leurs vêtements, aucun couturier ne dira comment pareille chose est possible. Il découvre son corps avec une joie tremblante, n’avait jamais osé imaginer qu’il aurait sous ses doigts son humidité, pas plus qu’il n’ose regarder la main délicate se refermer sur lui pour prendre la mesure de son membre avant de le mettre dans sa bouche. Non, pas toi, pas toi, murmure-t-il sans fin et sans beaucoup de raison apparente.
Elle écarte largement les jambes. Il s’agenouille pour la respirer longuement. La touffe noire. L’odeur de moiteur et d’un infime filet qu’il n’identifie pas encore. L’émotion effarante. L’incompréhension. L’odeur de mouillé s’intensifie. Il ressent une gratitude infinie.
Il prend conscience de n’avoir jamais fait l’amour. Ou alors d’en avoir perdu le souvenir. Il y a un blanc dans sa mémoire. Comment aurait-il su s’y prendre ?
[à suivre]