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Publié par Michel Castanier

La merveilleuse Autobiographie
Jessie Willcox Smith

 

Il est certain que l’invoquer autant est la perdre. À l’idée que j’aille la chercher dans les molles tiédeurs de l’Enfer conjugal, les yeux fous, le cœur en sac à dos, jusque dans sa cuisine ténébreuse où ma Rouquine somnole sur un tabouret, pour ce privilège immatériel : l’asseoir sur mes genoux – mon Eurydice, en femme de bon sens, et Dieu si elle est sensée, ne peut que finir par s’affoler, la malheureuse : Il est fou ! Ce type est fou ! Qu’il me lâche !

Et moi, fou évidemment, qui n’entend que ce qu’elle ne dit pas et dit sans le dire : qu’il me lèche ! qu’il me lèche ! qu’il me lèche !

 

Plus modérément disons qu’elle a mis un point final à ce qui peut être encore vécu d’inattendu, de réjouissant, d’éperdu. Je suis le seul qui s’intéresse encore à moi.

Je repère les fausses consolations, les illusions qui entre­tiennent l’espoir, la trace des marques d’où chaque fois la douleur amoureuse prend son élan ; mais c’est à présent as­sourdi, éteint (en veilleuse). Je suis maintenu par des sangles au-dessus du Mal. J’accorde que mes souvenirs d’elle me cha­hutent encore. Le pire, le plus empoisonné, ce sont les attendris­se­ments. Je me souviens, j’ai su que j’étais amou­reux en m’apercevant que j’aurais pu lui sacri­fier mes Petits Musclés (petits suisses parfumés). Ce sont des accès ; mais je peux passer des moments de plus en plus longs sans pro­blème, oublieux ; une fois, ce fut au moins une heure.

Ce sont bien sûr des faiblesses qui tiennent à la solitude, qui sont pernicieu­ses et qu’on doit se refuser. J’avance pré­cautionneusement en moi-même, avec des lenteurs de con­valescent. Je ne veux pas être triste. Je ne veux plus souf­frir. Je n’accepterai pas que le moindre instant se perde en tris­tesse. Il me semble que mon pas s’est affermi au­jourd’hui.

De plus en plus, je m’entretiens plus tran­quil­lement, plus diversement, de choses et d’autres, inno­centes – je peaufine, je me réplique, m’amuse, me promène, je ne réclame plus. Je reviens enfin à moi comme un ballon d’hydrogène que rien ne peut couler qui refait surface que l’eau dandine flot­tant comme un léger rire et l’heureuse conclusion de tant d’apesanteur sera à nouveau cette activité perma­nente sans but ­sensé : ma vie.

 

Bientôt on ne m’a plus invité à dîner dans la ville. Je lassais. On me le fit savoir, il n’y avait personne comme moi pour plom­ber une soirée par ses confidences amoureuses, par sa gaieté exubérante, son délire pe­sant, ses propos relâchés, sa joyeuse insanité, il serait peut-être temps de ne plus se revoir de quelque temps, le temps que j’apaise ma joie de vivre, ma chaise m’est retirée des dî­ners en ville.

Ce n’est pas grave. Je ferai sem­blant de vivre, je n'y aurai pas de peine, j’ai un grand sens de l'adaptation. Mon amie S dit que je suis si intelli­gent, ou du moins – c'est une restriction ab­surde – que je le serais si je n'étais pas si émotif. 

 

J’avais aimé pour l’éternité, il me reste l’éternité. Tant d’énergie inemployée, mon cœur chômé, ma vie sans plus de raison, je décide de consacrer mes immenses capacités amoureuses à une collec­tion de sables.

 

 

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