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Publié par Michel Castanier

comédie littérature satire pamphlet autobiographie autofiction portrait fragment sotie
Khaled Dawa

 

« Comment vous la dire ? Je ne cesse plus dans mes der­nières œuvres. Écrire, n’est-ce pas mieux dire au point que le dit d’amour soit la jouissance même ? Elle a de la grâce, figurez-vous. La grâce sans le ma­niérisme. Elle est la grâce. Entendez-vous ? La grâce ! La grâce ! La grâce ! »

Son exaltation faisait peine à voir, mais surtout j’en était tout débraillé, ma chemise à moitié sortie du pantalon, les revers de ma veste en lin chiffon­nés sous ses doigts, on aurait cru une scène d’amour.

« S’il vous plaît, je n’ai rien d’un pommier, cher monsieur.

– Elle en serait bien surprise, qui ne se vit certai­nement pas ainsi. Et jus­tement, cette mécon­naissance ajoute à la grâce ! la parachève ! en est la fine pointe ! Consciente, cette formidable épistolière tom­berait dans le gracieux ! C’est tout le secret de l’art féminin des corres­pondances ! Il vaut mieux ne rien savoir de soi ! L’antilope qui se pren­drait pour une antilope tomberait sous la dent du lion ! »

J’avais rampé jusqu’à la cage de l’ascenseur, mais il me souleva jusqu’à lui par la ceinture du pantalon (quelle énergie !), j’avais des bouffées de cha­leur, une sensation de panique qui montait et je n’osais plus lever mon re­gard vers ses gros yeux en larmes.

« Mon ami ! Mon cher ami ! Mon frère ! Je l’ai vue par ha­sard, si l’on peut dire, le dé­tective m’ayant coûté assez cher, c’était jour de neige, en dé­cembre, à la sor­tie de l’école commu­nale, dans un pays lointain, si lointain ! Elle s’appelle Christiane, ma lectrice ! de son vrai nom, mon ourse ! elle est triste, si vous aviez vu comme elle est triste ! elle est perdue, elle s’est per­due ! Elle ne m’écrit plus. Plus jamais. Son pauvre visage ! Je ne peux plus rien y faire, son malheur est plus grand que ce que nous étions ! Nos amours nous éle­vaient, nous flottions très azuréens ! très rieurs ! elle me mettait en larmes en me décrivant la mort de son mari dans ses splendides mails et je mourais de rire à ses mésa­ventures scolaires dans ce monde qui ne la mé­ritait pas. Elle n’a jamais été mariée, mon petit ami ! »

Je ne sais comment j’étais parvenu à enclencher le loquet de la porte d’as­censeur dans mon dos, mais cet effet de bascule insignifiant fut peut-être le seul événement de ma vie.

« Il n’y a plus rien, plus de larmes ! plus de rires ! je l’ai vue de mes yeux vue sur son chemin de croix, ma christique ! Sur le chemin de l’école à sa triste villa, moche ! Mais moche ! Déchue ! Il n’est plus que le seul dé­sert de son pauvre être chéri, elle s’est échouée dans sa souffrance, la dou­leur parta­gée entre nous avait été un trampoline d’où rebondir et batifoler dans les airs ! elle est à terre, elle mai­grit, elle s’éteint ! Je n’ai pas osé aller à sa ren­contre. Je n’ai pas osé nous trahir ! Je n’ai plus de ressources pour ce beau nous que nous fûmes – ce grand mirage. Elle était ma Reine, j’étais son Roi ! Elle n’est plus qu’elle ! Et n’étant plus qu’elle elle n’est plus peu à peu ! Et que suis-je dans ces conditions ! »

La porte claqua dans un bruit de ferraille. J’étais sauvé ! L’ascenseur – un vieil ascenseur, aussi vieux et désuet que mon hôte, fait de fer forgé rouillé et de claires-voies – descendait lente­ment, bien trop lentement, ses câbles : les déroulements d'un serpent, et je ne vis bientôt plus que les pantoufles de l’Auteur. Il me parut alors qu’une fausse perspective me trompait : je n’étais pas le moins du monde en train de descendre, c’était lui qui s’élevait, lui qui mon­tait au ciel des Lettres dans une épiphanie d’amour, de formidable obsti­nation et d’absence totale de ta­lent.

 

[fin]

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