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Publié par Michel Castanier

comédie littérature satire pamphlet autobiographie autofiction portrait fragment sotie
Khaled Dawa

 

On s’est disputé un instant la poignée à la porte de son ap­partement, j’étais contre sa poitrine et son odeur de renfermé n’avait jamais été plus forte, mon malaise grandissait, des gouttes de sueur brouillèrent ma vue, je dus ôter mes lunettes d’aveugle pour les es­suyer, vis plus clairement son grand visage hagard où ses yeux étaient des torches dans la nuit d’un caveau (cette expression me plaît mystérieusement).

« Je lui avouai avoir vécu une vie vouée à l’inlassable igno­rance liée à l’acte d’écrire, acti­vité indécente d’accoucher d’une larve qui ne pren­dra jamais tout à fait forme et sens ! Je l’écrivis à l’essentielle Amie un jour de confi­dence douloureuse. Ce sont mes Vies qu’il convient de ne pas prendre trop au sérieux, la prévenais-je. Ori­ginellement tru­quées. Ces départs d’autobio­graphie – ces hu­meurs, ces émo­tions – se perdant en variations oiseuses !

– Envols d’oi­seaux oisifs ! » me suis-je écrié en dépit du bon sens, mais mon état nerveux était à ce stade absolu­ment déplorable. Il n’y prêta peu d’attention, à peine un regard intrigué, tout à ses souvenirs de souf­france.

« En effet. Romans, récits ou autofictions, qui prétend écrire est partout et nulle part dans ce qui est écrit. État in­forme et douloureux comme un fou rire. La déri­sion y est une réserve, un quant à soi. C’est refus d’émotion au béné­fice d’un rire. Ou du brio. En fait, d’une dérobade où se ca­cher. Écrire est tellement obscène ! Vous connaissez mon goût pour le second degré, au­jourd’hui éminemment inapproprié, comme dirait l’Époque. Il m’aura perdu. L’ironie – mon ironie – ne plaît pas beaucoup, elle fait peur, on ne sait sur quelle pied dan­ser avec elle, la dame déconcerte trop, embarque dans un rou­lis nau­séeux où être énigmatique­ment concerné. Bref, per­sonne n’y est ja­mais satis­fait … »

(Il récita de mémoire, les yeux mi-clos, tout en me tenant d’une main ferme)

« Mais du moins c’est lu, avait conclu la Sagesse dans son style vif et déter­miné, et c’est là où advenir, mon grand ami : vies fic­tives et vraies où se partager, vous et moi. Et savez-vous qui était la Sagesse, pour mon plus grand malheur comme pour ma joie ? »

Il étreignit mes épaules, les secoua, je suis assez petit et cherchais le sou­venir de quelque prise de judo astucieuse qui l’aurait renversé, basculé et mis à plat. Je fus cogné du dos contre le mur du couloir, à plusieurs reprises, il avait l’air de vouloir m’y enfoncer corps et biens.

 

 

[à suivre]

 

 

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