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Publié par Michel Castanier

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Miguel Guia

 

 « Je n’en attendais pas autant, poursuivait-il. Il est vrai, mon travail béné­ficie des progrès incontestables de l’humanité. Il y a une hâte générale d’écrire ou de peindre – sans parler de nos merveilleuses photo­graphies ! – une frénésie de création planétaire que j’estime saine. Les siècles portent l’Espèce vers un sens esthétique toujours plus raffiné, une conscience morale surai­guë, un discernement poli­tique exemplaire, des œuvres d’art in­ouïes en affi­nité avec les tendres lois d’un marché mondial bon enfant et propice aux démunis en esprit. Je ne pouvais que passer inaper­çu. Quelle chance ! Quelle promesse ! »

J’eus un vague soupçon, mais sans m’y attarder et ce fut une erreur : il aurait fallu s’enfuir aussitôt, je n’y étais pas en­core prêt. 

« Le métier de la taupe, en somme, avec la vision de l’aigle ? Ne seriez-vous pas un peu trop confiant dans l’avenir humain ?

– Résolument positif, même. L’optimisme forcené est ma mo­rale.  Que de­viendrions-nous sans l’optimisme ! Lucide ? Perte de temps ! Allons de l’avant et, comme disait mon vieil ami Na­poléon, on verra après. »

En effet, je ne savais où nous allions à ce rythme et décidai de faire un pas de côté astucieux, un mouvement tournant, selon l’art de la guerre comme du jeu d’échecs.

« Vous avez commencé d’écrire tôt, je suppose ?

– Très tard, à moins de considérer que j’ai toujours écrit, de­puis à peu près mon berceau, à cette époque écrivant déjà dans ma tête, la moindre glossola­lie étant d’importance pour le nour­risson, et par la suite les évène­ments de ma vie furent les pages blanches où se profilait ce qui allait être écrit au temps venu.

– Et ce temps ?

– Dès que j’eus l’âge de raison, assez peu précoce chez moi, j’en conviens, mais soyons plus précis, l’Histoire n’attend pas : en 1991, pour mon quaran­tième anniversaire, nuit de gloire où je me connus et m’aimai. L’incubation avait été lente mais d’autant plus riche. Il se trouve qu’aux en­virons de 3h du matin je rêvais que je voyageais à bord du vaisseau d’Ulysse. Expédition grandiose ! Je ne pouvais qu’être Homère. Ulysse me faisant remar­quer la couleur de miel des nuages sous le soleil, je lui ré­pondis qu’en compagnie d’un si grand navigateur mon œuvre serait une cosmo­logie portative, une encyclo­pédie universelle, un portulan des abysses humains et un dictionnaire de scrabble. Le rêve produisit pour­tant une tristesse radi­cale qui me réveilla, ce malheur abso­lu d’être réveillé… »

 

 

[à suivre]

 

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