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Publié par Michel Castanier

comédie littérature satire pamphlet autobiographie autofiction portrait fragment sotie

 

Que je ne puisse fumer en sa présence (il n’y avait pas de cendrier) justi­fiait sans doute une nervosité qui me gagnait, l’agitation vague d’un hyper­actif à son banc d’école. Une sorte d’inconfort : une inquiétude. Il émit le soupir pro­fond qu’on imagine au morse sur la banquise en train de fondre.

« Ce réveil – de la lumière à l’obscurité – était ressentir un abandon et une solitude irrémé­diables dont ne trou­ver d’équivalent que dans une certaine douleur phy­sique connue à l’hôpital, une douleur fon­damentale, une douleur qui ab­sorbait tout l’être, au point de la regretter quand elle s’est dis­sipée, car elle avait quelque chose à dire d’es­sentiel que je n’ai pas su comprendre... Il ne restait plus qu’à écrire, malgré tout, ou à cause d’elle, vous le comprenez bien. »

Je ne comprenais rien mais le port de mes lunettes noires ca­chait opportu­nément mon désarroi, et ma honte. Il restait à poursuivre l’in­terview, à l’aveuglette, en somme.

« Vos premiers livres sont passés inaperçus…

– Bienheureusement. Qui en aurait supporté l’existence ? L’époque n’était pas prête.

– Le sera-t-elle jamais ? »

Il me regarda avec sévérité, chercha l’humour, ne le trou­va pas, se ras­sura (à moins qu’il ne fût déçu ?).

« En effet. C’est à espérer.

– Vous pourriez apprendre aux jeunes lecteurs de notre re­vue quels furent vos premiers essais ?

– Leur sensibilité, dont je ne doute pas, ne concevra la por­tée de mon tra­vail qu’en écho incertain et flou à travers votre ar­ticle, c’est mieux ainsi. Qu’ils ne me lisent surtout pas ! Leurs chères habitudes en seraient troublées. Par ailleurs, ce ne furent pas des es­sais, comme vous dites, mais des réus­sites parfaites, immé­diates.

– Nous en donneriez-vous quelque idée, à défaut de pouvoir les lire ? On les dit passés au pilon.

– Ce fut long. Très long, du moins en maturation, car le geste final était vif, allègre et sans retours. Toutefois, la perfection lasse. Je fus attristé, ce n’était pas encore ça. N’a de valeur que la fracture, la fragmentation, l’in­achèvement... La perfection s’use parce que tout est trans­formation. Son im­mobilité finit en obsolescence. Le change­ment – du bébé au cadavre – est la loi. Il faudra vous y faire, cher monsieur. Ainsi, même l’architec­ture n’a qu’un temps. Un état instable, indécidable, promesse de re­nouveau, noyau insécable de mystère, convient au grand art. Homère – en étant revisité d’époque en époque – n’est plus Homère... »

Ce sens des généralités grandioses, tombant comme un aigle de leur aire sur le petit mouton d’un critique littéraire – m’épatait. Mieux encore j’étais saisi d’un très esthétique sentiment de nostalgie, inexplicable mais invin­cible. Je n’aimais pas du tout.

 

 

[à suivre]

 

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