Autoportraits (295) – On ne tutoie pas un verre de Bordeaux : Nos amis les fantômes (1)
Nos amis les fantômes (1)
Les fantômes n’ont rien de méchant. Ils sont seulement embrouillés. Ils n’ont pas de pouvoir réel, ou seulement celui de nous faire un peu peur, mais ce n’est presque pas de leur faute. Je n’imagine aucun de ces grands pensifs capables d’une véritable malveillance, il y faut de l’acharnement, de l’optimisme, une certaine confiance en soi, et ils sont si flottants, si velléitaires. Ce sont des non-êtres délicats, ils auraient honte d’abuser de leur mélancolie auprès de nous.
Ils n’ont pas de malice, ils sont perdus, ils n’ont nulle part où aller et c’est bien leur problème. Dans ce qu’on appelle la vie, nous en avons une petite idée que nous menons à terme, ou qui nous mène, mais à l’arrivée notre vie a eu un logis, un but, un sens, n’est-ce pas.
Ils sont plutôt précautionneux à notre égard et pour rien au monde ne nous apparaîtraient s’ils n’avaient cette faiblesse : notre souffrance les attire, ils accourent pour nous apaiser, agitent leurs bras pour rire, et nous voici plus du tout souffreteux mais paniqués. Ils s’en désolent, ils se sont trompés, leur vie, leur sorte de vie est faite de ces erreurs et de maladresses, comme la nôtre, d’ailleurs, mais eux n’ont nulle part où fuir notre douleur.
À présent où nous ne croyons plus beaucoup en eux, les spectres sont plus fragiles que jamais, car leur confusion est grande. Ils n’ont aucune hostilité, pas la moindre colère, ils sont seulement égarés.