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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[l’image est de Boris Draschoff]

 

25 juin


La première nuit où je campai dans mon arbre, j’eus d’abord beaucoup de peine à m’endormir, le moindre coup de vent agissant sur la fragile nacelle comme sur l’instabilité d’un hamac et me réveillant en sursaut dans une sensation de chute, ainsi que dans ces hallucinations dues à l’état hypnagogique qui précède le sommeil (j’adore cette précision). Vers une heure du matin je fus réveillé tout à fait par un vif remuement du feuillage, qui se renouvela peu après et s’amplifia.

Je n’étais pas seul, par malheur, j’avais un voisin.

Les remous devinrent si grands que je craignis de voir un sanglier me débouler dessus, mais c’était bien impro­bable à cette hauteur. Rendu à plus de raison, j’imaginai un couple de pigeons se chamaillant, ou pire, selon leurs habitudes, puis un hibou, un cormoran, un albatros, un vautour, et les dimensions de l’intrus grandissant avec le boucan, quand j’eus pensé aux ailes immenses de l’oiseau Roc, ce fut la peur de ma vie et, dans un geste de recul je m’éraflai la cuisse à un clou au montant du lit. C’en était trop. Je regagnai mon appartement à toute allure.

Au matin, j’allai vérifiai mon imagination, sans pour autant monter à l’échelle de corde, car je n’eus pas à le faire, deux canards se becquetaient sur le bord de la plate­forme.

Il n’y eut pas d’autre nuit. Le soir suivant, je dormis dans mon appartement, réconcilié avec mon lit à balda­quin. J’avais appris beaucoup de cette expérience malheu­reuse (comme toute expérience) et d’abord un peu de la vie des oiseaux et surtout que la vie à la campagne ne me convenait absolument pas.


*

 

J’aime les pauvres quand ils sont aussi prodigues et gaspilleurs que les voleurs qui manifestent par des largesses rui­neuses le mépris qu’ils doivent à leur acte. Sans doute un retour paradoxal d’une morale d’enfant. C’est aux riches que les pauvres, s’ils sont dépensiers, volent une vie qu’ils savent leur devoir contre de faibles rémunérations dans des travaux journaliers fastidieux ou pénibles. Ils la dépensent en fêtes nocturnes par une forme de dédain su­périeur pour les existences besogneuses auxquelles les au­raient voués les riches. Ces mêmes fortunés, adonnés aux conditions de leur classe et des codes de leur classe, ont des vies opulentes de serviteurs là où les pauvres dispen­dieux ont des vies ivres de maîtres.

C’est compliqué ce que je dis, mais la société n’est pas simple et le pauvre me comprendra, ou le voleur. Je suis entré dans ces considérations révoltées pour montrer quel insoumis je pourrais être si je voulais et si je n’étais pas si riche, l’oisiveté m’est l’occasion de tenir tous les rôles et de ne me donner à aucun, ainsi de la posture de l’honnête homme.

 

*

 

Je ne pouvais voir sans étonnement débattre sur des plateaux de tv des gens tout à fait ho­norables, bien mis, bien-portants, de bonne volonté, sou­cieux du bien public, secourables aux minori­tés oppri­mées, adeptes des simpli­fications et autres mer­veilles, idéalistes nourris de lende­mains qui chantent sur des tables rases, bref de grands cœurs. En vérité, leur vie était si la­mentable qu’il leur fal­lait un coupable à hauteur du nau­frage. C’est pourquoi ils le cherchaient dans l’État, dans l’Histoire et dans les mœurs de leur pays. C’était se restituer un peu de gran­deur dans la dignité des victimes. Ces cadavres exquis, des wal­king deads bienveillants et philanthropiques, trans­mettaient leur idéalisme sournois aux jeunes gens ingénus à l’enfance heu­reuse, ils les décervelaient et ouvraient leur bon cœur au poison de culpabilités idiotes.

On ne se méfie jamais assez, on ne prend jamais assez de précautions pour repousser et tenir à distance les adeptes de la morale bon chic bon genre. Nous avons dé­sappris de flairer l’haleine de nos interlocuteurs, le souffle est l’âme, nous avons délaissé ce don animal au point qu’à respirer cette odeur aigre nous risquons d’en avoir le cer­veau infecté à son tour. J’ai déjà parlé du canari des mi­neurs, nous n’avons plus de canari pour s’évanouir devant l’inculture historique et les crispations idéologiques.

Bien sûr, je cédais à quelques irritations personnelles, qu’on me pardonne d’être invasif. Je suis volontiers conser­va­teur, et même réactionnaire, ne serait-ce que pour le plaisir d’être dé­testable aux braves gens. Je sortis me changer les idées, mon côté baroudeur. La cabane était toujours dans l’arbre. À la voirie, on avait dû penser qu’elle était contaminée, ce qui m’amena à en prendre conscience, non sans frissons, il me faudrait attendre qua­torze jours pour savoir si j’étais mort. Ma morosité s’aggrava. C’était à cause de la pensée, on ne devrait ja­mais penser, cela alourdit.


 

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