1001 Vies (624) : La Tour de Babil – 29
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Je n’y suis pas pour grand-chose, lui ai-je dit de mes idées, je les laisse faire. Nous partagions un peu plus loin un banc de bois vert, au square Antonin, comme un couple de punks à chien sans chien et sans coupe à l’iroquoise, en somme comme un couple.
Elle – Ton époustouflante modestie ne tromperait personne si, pour une fois, tu n’étais parfaitement sincère. Comme ton ami Chausson (une autre de tes fumisteries, d’ailleurs), tu vis en fait ton imagination comme un instrument neutre, une sorte d’ustensile ménager qui sert ta petite cuisine, qu’il s’agisse de métier ou d’une simple conversation, avec moi, par exemple.
Mon caprice a un regard fugitif et morose sous l’ombrage du cercle parfait de la capeline noire.
Moi –Je suis reconnaissant à Dieu quand il me vient une jolie idée. Je sais y être pour très peu. Je ne réclame pas de grandes idées. Il me sait n’en être pas capable. Il ne force jamais. Ce serait fausser la délicate mécanique. Il me range alors dans ses tiroirs et m’en sortira quand il aura pour moi quelque chose de charmant. Je suis son Idiot du village littéraire.
Elle – Le génie est un accident, la talent une chance – sinon, il y a foule.
Moi – Être le contemplateur de son propre esprit (ses lubies, ses bons mots, ses idées en location), est n’être soi-même qu’une pièce rapportée, une sorte de petit balcon doré d’où, penché, un doigt sur la tempe… C’est écrire.
Elle me considéra avec une satisfaction mitigée.
Elle – Tu l’as, ton sujet.
Moi – Cotentin ?
Elle – Janus. Janus, le dieu au triple visage ! Janus est la divinité du passage et des portes, des commencements et des fins, des choix. Janus est le seul et véritable dieu de l’amour.
Moi – Et du fragment !
[à suivre]