1001 Vies (782) : LA TENDRESSE DU SNIPER – 69
– Il arrive que l’amour se dispense en nous sans nous – sans notre volonté – et sans avoir pour fin pratique l’amie – joyeuse dépense ou mélancolique dissipation.
De cet amour désintéressé elle n’a pas à connaître, mais si elle y venait en serait-il dégradé ? Certainement, comme corrode le sel – ici le sel de la vie. Car une telle usure il faut l’accepter ainsi qu’on admet la vie et ce que seront ses nobles dégâts (la reproduction, le mariage, les accommodements, les frustrations, les habitudes, l’ennui croissant, l’infidélité, la progressive extinction du foyer de chaleur), mais cette connaissance n’est pourtant pas si nécessaire, elle est même superflue, l’idéal étant que Zéphyra ne sache pas qu’elle est aimée, les joies en sont alors des plus fines et des plus variées : il n’y a pas plus d’amour dans un amour désintéressé qu’au début des amours, il est seulement mieux disposé entre l’amour de soi et l’amour de l’aimée.
Vérifier son imagination est alors un excès exquis –
… C’est le sort des hommes quand ils sont vieux, leur difficulté d’accommoder sur une beauté âgée – ce regard heureux, ce visage qui s’éclaire, ce cœur qui se déride, ce corps si doux, si tendre, ce don de soi sur la dalle funéraire partagée. La solitude, l’isolement, l’âge sont choses extrêmement gaies et enviables, bien peu d’entre nous sont capables de l’admettre, je suis le dernier élu de cette génération joyeuse …
– Le bon côté est mon côté du lit.
Cela se comprend sans remonter aux élucubrations de Carlos Castaneda sur le « lieu bénéfique ». Le côté où je suis à l’aise, centre du monde, l’amour à ma droite (à la droite du dieu que je suis enfin). À ma gauche, la fragilité, l’angoisse, la peur de l’abîme.
Il n’y a plus de vertige, l’assise est comblée, rien de mal ne m’atteindra – que je n’ai vu venir de loin, que je n’ai calmé d’avance. Nulle surprise pour me déstabiliser. Le bon côté est de toute éternité la plénitude du berceau où maman se penche.
Le mauvais côté du lit est celui des sorcières au chevet du genre humain (l’héritage génétique, les conditions sociales, la part de bêtise, la haine archétypale, Zéphyra qui n’était pas d’accord avec son emplacement dans ce lit).
On voit que ma nuit s’est finalement bien passée –
[à suivre]