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Publié par Michel Castanier

[Anonyme]

 

 

« Allons plus loin, plus bas, tou­jours plus petit. Boussardon mord pour n’être pas mordu, quand per­sonne ne songe à le mordre, quelle idée ! Il connaît une vaste rancœur. Il mau­dit la so­ciété, il maudit l’exis­tence, il maudit surtout les autres, les res­ponsables, ils l’ont em­pêché d’être ce qu’il aurait dû être, dont il ne sait rien, mais il a toujours pres­senti que cela de­vait être grand, plus grand que son être-termite, il a été floué très tôt, il a été joué par des tri­cheurs (les riches, le patronat, le gouver­nement, sa famille, un com­plot planétaire ?), jamais par lui-même.

C’est la condition humaine de Boussardon. Il ne voit pas que la vie est un palais aux fastes déme­surés, il y vit dans les nœuds des boiseries : Il survit dans les pisso­tières de Versailles.

Que satis­fait notre insoumis ? Une amertume farouche d’en­fant. Un im­mense enfantin désir d’être le cœur battant du monde. Com­ment ai­mer cette société où Boussardon est si peu ? il est livré à une meurtris­sure qui noircit tout, l’au­rore, son âme pure, les fruits, les lé­gumes, les joues roses des enfants, les yeux blancs des statues du Jardin. »

 

 

J’ai assisté à la mort du cygne. Un bouillon qui n’a pas passé. Mourir d’un bouillon, comme un mauvais théâtreux du XIXème siècle !

Chausson n’avait jamais trompé Louise, par lâcheté, ou ennuyé d’avance d’un si grand effort de dissimulation pré­ten­dant qu’elle était toute la femme. Avec qui lui être infidèle ? D’autant que Louise, fille d’un équipementier des mers et d’une descen­dante de vignerons, est bien la seule qui puisse entretenir l'héritage familial : le château et son parc. Ce jour-là, Louise nous fit ser­vir cette soupe si simple que le vieux poète aimait tant quand l’automne était venu – et peut-être était-ce tout son amour pour Louise, un amour potager : une soupe, aussi nutritive que lé­gère, aux vermi­celles, au blanc d’œuf, à l’ail et au laurier, avec un fi­let d’huile d’olive, qu’on ap­pelle un aigo bou­lido dans l’idiome natal de l’héritière de leur vaste domaine.

De tout le repas buvant énormément, Chausson se montre convi­vial, ai­mable, quoique conservant l’air douloureux d’un homme at­teint d’une occlusion intestinale. En vérité (eut-il la prescience de sa mort pro­chaine ?), il s’était résolu à dévoiler au monde son « secret » – la clé qui scellait une œuvre à peu près incompré­hensible. Dès son premier verre de Bordeaux, il m’avait avoué ne pas sa­voir com­ment pro­céder, ce qui ne me sur­prenait pas tant que ça. Il est intéressant de le no­ter, la rétention narrative (et l’inlas­sable report du dénoue­ment) était une des astuces de ses proses poé­tiques très alam­biquées : si on se perdait dans les boucles d’une phrase il avait la courtoi­sie de vous y rechercher, paraît-il, mais sans ostenta­tion, loin de vous tendre la main – bien au contraire, poli­tesse raffinée, hautaine, il semblait se tourner et vous attendre, mais en fait il ne vous me­nait jamais nulle part, ne sachant pas lui-même où il allait.

Sans se ré­soudre à nous confier le fil rouge dans la trame de la tapisserie d’Aubusson de son œuvre, le motif caché, l’alcoo­lique attendait comme à l’accoutumée l’inspiration, l’impro­visa­tion in­génieuse, l’art de dire et la chute.

Nous attendions avec lui.

 

[à suivre] 

 

 

 

 

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