En cas de tempête ce jardin sera fermé – Carte postale – 8
Carte postale
Les habitants – ayant finalement décidé être en hiver – attendent la neige. Chaque année. Ils ont envie de se déplacer dans une belle carte postale – petits personnages de conte de fées traversant (comme l’avion de ligne le nuage) un troupeau de moutons pour gagner la minuscule chaumière – où la cheminée fume et, sans doute, un Ogre ronfle.
Mais non, l’air est simplement froid, stérilement, cassant comme du verre. Le désir cassant comme du verre. L’Hiver passera et, cette fois encore, le vieux Bougon – le Grigou à la barbe de stalactites – n'aura pas fait de faveur : les bons vieux clichés si confortables où il fait bon vivre ensemble, les sons assourdis dans la ville silencieuse, la rue aux autos chapeautées de neige, le cher square Antonin et ses chênes-lièges nappés de sucre blanc qu’on regarde par la fenêtre, les ions ralentis des flocons…
Ils hésitent, remontent, oscillent, déconcertés, incertains, velléitaires, les toits de la ville sont encore une fois trop tièdes, ils chuchotent.
– Mon Dieu !
– Mon Dieu !
– On tombe mal, non ?
– C’est peut-être un peu tôt.
– On reviendra.
– Vaudrait mieux.
– Qui est ce monsieur qui passe en-dessous de nous ?
– Un rien vous étonne !
Le monsieur traverse à petits pas compassés le square Antonin le Pieux. Un grand pigeon (si gros qu’il aurait pu être un albatros), ses ailes vibrant d’émotion, s’envole, craignant un coup de pied. Et de fait, le passant accourt, agite les bras, frappe du talon, rit et s’enthousiasme. Sa chevelure blanche savamment ondulée n’est plus qu’écume, son visage altier est tout rose, ses yeux brillent sous l’éclat de l’Inspiration.
Vous comprenez que l’individu est un poète. Il est un poète sans maison d’édition : il habite poétiquement un terrain vague.
À moins qu’il ne se réchauffe. Il est vrai que les pigeons ont été inventés pour le bonheur des enfants. Le colombophile tourne au coin de la place en poursuivant toute une bande de ramiers scandalisés.
[à suivre]