En cas de tempête ce jardin sera fermé – Embarquement pour Cythère – 42

[Fellini]

Embarquement pour Cythère

La bonne dame prit bientôt de plus en plus de substance. Ainsi Eléonore avait-elle eu des enfants qui étaient encore avec elle, malgré leur âge, ainsi que les maris qui vont avec et qu’elle fréquentait toujours. Ce sens de la famille m’avait déplu, par instinct, j’y voyais peu de passion et ma propre passion menacée.

– Mais as-tu au moins une photographie d’elle ?  me dit mon ami Louis, toujours opportun.

Je l’ai détruite ainsi que de menus bibelots offerts et tout un tas de pots de fleurs idiots qu’elle avait extraits de son jardin et m’avait donnés – sacrifices superstitieux et pleins de santé qui ne s’étaient suivis d’aucun rétablissement moral notable. Le selfie, qu’elle m’avait remis avec fierté, ne rendait pas compte de sa sorte de charme, je l’avais interrogé si souvent, et vainement, avant de le supprimer: je n’y trouvais que son grand âge, sans concession, et ce rire inadmissible sur son petit visage ridé – ce rire à ma vue – ce rire idiot, sans raison, qui avait fini par m’exaspérer comme l’expression même de cette vieille vanité puérile, son invétérée coquetterie : sans doute, ainsi qu’une myope, ne se voyait-elle plus tout à fait clairement.

Les mots d’amour ? Ils n’avaient aucune valeur sentimentale, il valait mieux les oublier (en fait, je les ai jetés par-dessus la passerelle d’embarquement).