En cas de tempête ce jardin sera fermé – La fantaisie combat le mal – 23

La fantaisie combat le mal

Je retrouvais la légère pente de ma rue aux pavés bossus, pointée des yeux de lumière des lampadaires dans la nuit, quand le petit Chaperon rouge me croisait sans un regard, trottinant de ses petites bottines en caoutchouc jaune, son panier d’osier sous le bras, suivie quelques instants après par le grand méchant Loup, filant le long du mur de la Poste bond à bond, suivi à son tour par Mère-Grand, soulevant ses jupes pour sauter par-dessus les vieilles flaques de pluie, le sourcil froncé. Cette scène de conte était astucieusement fignolée, un peu convenue, certes, mais fraîche et naïve, et elle donnait raison à l’enfant qui était en moi dans un état jubilatoire. Rentré à la maison depuis un bon moment, je me sentais apaisé, confirmé, j’allais pouvoir m’endormir, la veilleuse éteinte, en tête à tête avec mon oreiller. Il n’y avait en revanche aucune raison pour que l’adulte, en moi exalté par cette rencontre digne des grands moments de l’histoire littéraire, entame un plaidoyer pro domo sous la forme d’une magnifique métaphore filée auquel mon esprit égaré ne trouvait pas le moindre bon sens au réveil.

Défouloir

Celui qui coûte c’est le premier, ensuite ce sera jouissance, toute amarre relâchée ; du défouloir des petites frustrations accumulées sur la première victime du massacre de masse s’ensuit l’extermination de la nuée de sauterelles dans son nid : cet amas pris au piège de la nasse d’un concert d’Heavy Métal qui aurait dû être fruste, certes, mais roboratif (amas, masse, tas ? non, il leur arrive de distinguer à l’abattoir un agneau et de le prélever pour mieux l’écraser). Ils sulfatent cette pépinière de jeunes gens à l’aise, plutôt bienveillants, élégants dans leur âme et leur corps d’Européens – dont ils auraient tant voulu être sans faire le moindre effort, sans apprendre, sans respect, en ignares à qui tout est dû. Quelle haine pour cet insouci, cette confiance, cette liberté de pensée, ce bien-être au monde, cette civilisation !

Ma belle Prudence a toujours réprouvé – sans rien en dire, seulement d’un froncement de sourcil – le négligé de ceux qui sortent de chez eux en survêtement et souliers américains sous le prétexte de courir un peu partout d’un air très concerné. De quel sourcil haut aurait-elle considéré son assassin en jogging, le rire de satisfaction bête, la kalachnikov dans les mains, bien huilée comme une bite ?

[à suivre]