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Publié par Michel Castanier

 

Livre orange bleue

 

À l’ouverture du livre orange (l’orange cossue et ses beaux quartiers) à peine revenu de quelques récentes déconvenues, je méditais longuement le rôle de l’ingestion dans la création – et par là-même de l’oubli et de ses effets de capillarité dans l’imagination, dont j’attendais un terreau meuble où pousseraient les plus fantasques inspirations ;

dès la troisième page, les mains dans les pochés devant une palissade de chantier enduite des publicités de la Vache qui rit,

regardant un trou,

en bord de Seine,

je me proposais, songeur, un voyage à Bruges pour le mois de juin

mais,

alors que le vent printanier du petit matin agitait les nuages autour des grues portuaires en vol pour leurs migrations vers les mers du Sud ;

cet argent, il serait mieux d’en disposer pour l’achat de vêtements d’été qui apparaissaient aussitôt nécessaires ;

toutefois, je me rappelais avoir estimé au réveil qu’écrire était d’abord une discipline alimentaire

(à cause d’une indisposition intestinale qui m’avait empêché de travailler sur une transposition théâtrale de L’Amour absolument) ;

cependant,

dès le petit-déjeuner j’avais lu une page de Cyrano et, apitoyé, me prenais de haine pour les petits nez,

m’estimant certaines affinités avec les grands nez ;

or je m’apercevais n’avoir pas achevé ma lecture du Jeu de l’amour et du hasard,

pièce reprise sur le champ pour ma promenade

(je tâtonnais ma poche droite gonflée par le livre),

mais en fait je faisais surtout semblant de n’avoir pas renoncé à mon étude de La Mégère apprivoisée,

si brillamment méditée une semaine auparavant,

« Ma vie en peu de mots », je disais à la Vache qui rit.

 

La vision benoitement estimable que j’avais du désordre insouciant de mon existence s’inversait inexorablement : versatilité, fuites et dérobades. Les nuages se défaisaient du côté du soleil, un geste invisible projetait une ombre sur mes paupières ;

je cherchais vivement des yeux,

croyant deviner une intention obscure dans les nuages,

un rire secret ;

mon stage de dresseur de puces à la Foire de Trône m’avait appris que les animaux ne regardent le ciel que s’il s’y trouve planer une menace,

nous y cherchons une promesse,

une hirondelle faisait des grâces et des mines sous les nuages.

« Il est incroyable que ne rien faire prenne autant de temps », me disait-elle avant de prendre son élan vers les îles océaniques,

dégagé des brumes, le plein soleil éclairait les bons ouvriers maghrébins du chantier – cheveux blonds d’angelot dépassant à peine d’un bonnet de laine bleue et vaste chemise blanche échancrée – alors qu’ils sortaient du foyer Sonacotra, outils sur l’épaule, un brin d’avoine mâchonné à la bouche, pour la journée de travail des bulldozers, tractopelles, excavateurs et autres concasseurs.

Je partais, la mélancolie à mon bras, vers ma longue journée de labeur dans des alternances de ferveur et de découragements.

 

[à suivre]

 

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