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Publié par Michel Castanier

 

Livre orange bleue

 

J’habitais alors rue Oberkampf où deux vieilles sœurs étaient mes voisines du dessus.

Je ne leur avais jamais parlé,

un simple salut distant,

elles me considéraient avec suspicion du haut de leurs fenêtres,

j’aimais cette atmosphère bien parisienne.

Comme je rentrais chez moi je comprenais au visage de l’une d’elles à sa fenêtre que sa sœur était morte.

Elle avait l’expression de la plus irrémédiable solitude.

Son visage se retirait lentement de l’encadrement.

Il n’y avait que ses mains (j’étais de côté) qui disparaissaient peu à peu.

Les croisées pivotaient et se fermaient.

 

Il arriva naturellement que nous ayons à parler de la mort, mon ami Hubert-Hubert de Saint-Mery et moi-même, alors que nous déjeunions d'un repas léger à la Coupole..

Je racontais comment, à cause d’un long vertige qui m’avait fait embrasser passionnément un réverbère noctambule, j’avais eu l’effroi en même temps que la curieuse satisfaction de croire que j’allais mourir sur le trottoir du boulevard Saint-Germain, comme une bête – ainsi qu’on meurt toujours.

Hubert-Hubert m’apprenait à ce sujet que la position allongée dans l’obscurité de sa couette favorisait la perception claire de sa mort future. Il la concevait alors comme une perdition euphorique : une extase.

« C’est comme moi ! je m’écriais. À mon avis, la destruction de soi précipite une énergie noire où notre fin est jubilatoire !

– Une ivresse dionysiaque !

 – Une ascension cosmique !

– Un orgasme mystique ! » 

Voilà, rêvons.

Nous taisions combien, dans la lumière du soleil juteux comme une orange, ou dans la clarté clinique des néons, cette évidence n’avait plus la substance effarante qu’elle avait eu au cours de nuits.

Hubert-Hubert s’éloignait, les mains derrière le dos.

« On ne meurt pas souvent. »


 

 

[à suivre]

 

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