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Publié par Michel Castanier

 

Livre vert citrouille

 

À quelque temps de là, vers minuit, assis au bord d’un trottoir dans les hauteurs des Buttes-Chaumont, les pieds dans le caniveau, j’écrivais sur l’appui de mes genoux le sixième remaniement d’une lettre de rupture, quand je vivais une situation qui me paraissait caractéristique des nuits parisiennes.

Une jeune femme arrivait dans une Austin vert citrouille et demandait ce que je faisais là. Je m’expliquais,

morose,

non, je ne suis pas un émigré, je romps avec Gertrud,

du service des prêts au Goethe Institut ;

l’inconnue s’écriait qu’oh ! elle était dans le même contexte

« Avec Gertrud, du service des prêts au Goethe Institut ? – Non, avec André ».

La dame éteignait le moteur, allumait une Royale mentholée au bout d’un interminable fume-cigarette en argent ; le visage penché à sa portière, elle entamait une étonnante litanie de reproches médités au volant par les rues lunaires – où je relevais quelques détails notables :

« couvert de maîtresses »,

qu’André dorme toujours solitaire dans une garçonnière dont il avait seul l’adresse alors qu’elle lui avait laissé les clés de son appartement à Passy avant de prendre l’avion ;

qu’elle lui ait préparé des chemises, des slips, de l’after shave Fahrenheit, création du duo de nez Sieuzac et Almara, vous connaissez ?

que le frigidaire fût plein, je ne vous dis pas ;

qu’il y ait eu le Minitel, un camescope, une salle de projection, un bar à alcools des plus raffinés,

qu’aucun homme ne refuserait ça, surtout pas vous, je suppose ;

mais, quand elle revenait de voyage, qu’elle se rende compte qu’André n’y avait pas mis les pieds ; 

et enfin !

(elle étouffait un cri douloureux contre le revers de sa main)

qu’elle se fût aperçu que cet homme avait une autre amie

(conversation fiévreuse entre maîtresses au Café de la Paix autour d’un crumble aux deux pommes, fève tonka, spéculoos)

et qu’il ait eu l’habitude de faire attendre l’une dans sa voiture, pendant qu’il montait baiser l’autre ;

qu’en conclusion,

il était plus humiliant pour l’une,

qui attendait ;

elle y réfléchissait,

oui, elle prenait conscience …

remettait le contact et démarrait sans plus se soucier de moi.

Je déchirais ma lettre de rupture.

« À quoi bon ? On ne se rencontre jamais », je disais à la lune accoudée sur un toit, le menton dans ses mains.

 

[à suivre]

 

 

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