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Publié par Michel Castanier

 

 

Portrait du Grand Auteur en explorateur

 

Voici qu’il apparaît comme un point d’interrogation dans la découpe lumineuse du seuil de son immeuble.

Il est temps de prendre le chemin qu’il ne connaît pas pour aller d’un bon pas il ne sait où. Il a décidé de bien s’y tenir. Il a préparé avec soin son sac à dos : casserole en inox, assiettes de carton fleuri, épices, couvertures, wodka Smyrnof, gazinière, boites de soporifique, parapluie pliable, vêtements de rechange. Il n’a pas emporté ses cartes d’état-major, bien sûr, mais l’indicateur info météo, son carnet de notes bleu orange et son stylo à pompe qui a un nom de moto et va plus vite que la pensée. Bien que spécialiste de l’aéromelodicon, chacun comprendra qu’il ne puisse emporter avec lui une si lourde machine.

Dès son départ de bon matin par une journée de chaleur extrême qui annonce un violent orage il se perd dans son quartier. Comme il ne souhaite pas se faire remarquer il lève exagérément les genoux et donne des tours de roues à ses bras ; s’il croise un passant son regard à la fois appliqué et distrait sautille à l’horizon. Qu'il est réconfortant de voir l’humanité de loin et de haut !

Le jour baisse et il n’a toujours pas quitté sa rue, à bien y réfléchir. La foule s'amenuise et les lampadaires s'allument. Il laisse sur son passage des éléments du quartier qui tiennent leur sublime étrangeté de ce qu’il les voit pour la dernière fois : un mur de cimetière juste avant le tournant de la rue, une poubelle repue dans un recoin de l'église, un filet d'urine encore humide au mur du magasin de vidéos, le néon clignotant des Spécialités Turques, la porte capitonnée (et son guichet) du night-club africain le Coco Girls, l'entrée de la ruelle sombre où il s'engage – pour en ressortir aussitôt : c’est une impasse.

Ce lieu n’est assurément pas ce qu’il espère trouver en ne sachant rien de ce qu’il cherche, il n’a pas assez bien préparé son expédition – Christophe Colomb des Indes littéraires. De temps à autre, sans aucun reproche contre le sort, il se passe la main dans les cheveux, retroussant sur son front son chapeau d’explorateur en arrière jusqu’à ce que il se souvienne de n’avoir jamais eu de chapeau d'explorateur. Il fatigue et finalement se rentre à la maison – pour faire la relation des évènements dans son journal de voyage.

Les grands voyageurs rêvent aussi peu que des oiseaux si bien que leur fatigue est grande et qu’il leur semble avoir vécu dans un rêve éveillé.

Cette ample et subtile parabole achevée, coulissons.

 

 

[à suivre] 

 

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