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Publié par Michel Castanier

Revenons à nous comme d’un évanouissement. Le tilleul connaissait une grande agitation. Une vague éveilla longuement le canal et la vieille cité fantôme se troubla sous les ondes. Un groupe de voiliers était ancré à courte distance de notre terrasse. Les moineaux fredonnaient dans le feuillage.

Faire atmosphère n’est pas négligeable. Notre bière toute rousse en était d’accord : le bonheur était encore une idée neuve en Europe. On devisa longuement de la chaleur : sujet passionnant mais sans conséquences dramatiques. Passa une grande femme magnifique dont le cul était un monument. Nous l’imaginions déesse noire des sous-bois dans la jungle africaine, suivie d’une file de porteurs blancs épuisés. Ce passage somptueux me rappela ce pourquoi nous étions là. Soucieux de discrétion (l’auteur doit écrire caché), j’avais dédié à mon amie philosophique de la plus subtile des manières, en traitant d’elle entre les lignes, un court écrit aimable (aimable parce que court), extrait de l’épilogue à mes 1001 Vies enfin achevées. Après tout, ne lui devais-je pas la plus belle de mes vies, et peut-être la seule ? Lili souriait dans l’ombre de sa capeline. Il est des rivières invisibles qui parcourent l’océan et le transverbèrent, il en sera de même dans cette page dont je n’étais pas mécontent : un remous à peine perceptible en surface trahit une profonde émotion.

Après un toussotement cérémonieux, l’Évocation sortie de ma poche et défroissée, je lus à haute voix dans un tempo harmonieux, sans rien précipiter, avec ampleur et, je dois l’admettre, assez magistralement.

Moi – Dire le premier mot d’un récit dont on ne sait rien et qui confirmera le récit dans sa fin est dire le mot juste seul à même de dire l’énigme et de la résoudre. S’il n’a pas dit l’énigme il était faux – forcé – et se dissoudra dans le cours du récit. Un nouveau mot sera appelé. Il sera le bon mot ou bien le récit n’aura pas de fin. Parfois il n’est élu qu’à la fin, qui se découvre enfin comme telle, il était le port de ce grand voyage au hasard et le mot de la fin sera le mot du début. Le vrai mot suffirait s’il ne fallait l’éclaircir, c’est la tâche du récit et sa justification, découvrir logiquement le mot qui dit l’énigme d'avoir dit.

Lili m’observait sans comprendre.

Elle – Et tu parles de moi, là ?

Cette créature profonde comme l'océan s'est ensuite inquiétée de mon silence. Puis elle a ri d'un rire interminable en m'apprenant sans beaucoup d’à-propos apparent qu'un homme ne l'avait pas trouvée sexy. 

Moi – Est-ce possible ?

Elle – Est-ce ta façon tordue d’en être d’accord ?

On se tut, discrètement vexés. L’alarme d’une voiture garée le long du canal se mit à sonner interminablement. Nous écoutions le cri de souffrance du Propriétaire. Il renonça, laissant place au doux silence du Voleur. À proximité de notre brasserie parmi les ruines du temple de Diane enfouies dans les Jardins, indifférent au paganisme ambiant, un musulman en prière sur son tapis volant montrait son derrière aux nuages. Les moineaux passant par là le sifflaient, il n’en avait cure. Les voies fluviales languissaient, les herbes marines frissonnaient, les voiliers s’étaient échoués en vrac contre les murs du canal.

Oublier Lili.

 

[à suivre]

 

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