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Publié par Michel Castanier

Alzheimer mon amour – 2

 

Malassis ne voulait pas admettre qu’il était trop tard – toujours trop tard – trop tôt mène au crime. Sa nymphe des eaux (au demeurant femme-fontaine, à ce qui se disait de source informée) qui ne pesait pas bien lourd avait pour­tant son poids de connais­sance antique – des géné­rations de femmes pour apprendre qu’il est tou­jours trop tard et que les larmes de la fil­lette en elle n’y fe­ront rien.

Il n’est rien de plus redoutable qu’un être qui ne sait pas rire de lui-même, et Dieu sait que Blanche savait faire quand ils se croisaient aux Halles, étal des huitres, ou côte à côte dans les dîners en ville ! Et puis elle n’a plus su, c’était devenu trop sen­sible, trop effrayant, elle y ris­quait beaucoup plus qu’elle n’ai­mait Malassis. Il lui a tu combien il en a souffert nom d’un chien oh que oui et en silence oui oui

les chiens souffrent en silence.

______

 

C’est donc dans un silence qui est de la torpeur hébétée qu’il s’interroge. Pourquoi cette jeunesse encore malgré ses vieux rires usés ? Serait-ce ce qu’on appelle du tracassin ?

Larousse (quel beau nom !) donne une idée du tracassin.

Familier et vieux.

Ce qui ne saurait le surprendre, assis dans les ombres de son Étude, le grand dictionnaire ouvert dans la lumière ronde de l’abat-jour. Le tracassin est donc fami­lier (importun sans cesse, il est comme chez soi chez vous). Il est vieux parce que Sylvain Malassis est vieux comme une montagne et qu’il ne peut lui venir que des mots de vieille mon­tagne.

Agitation inquiète et chagrine de quelqu’un qui semble en proie à des tracas.

S’il l’entend correctement le verbe sembler, le tracassé c’est toujours l’autre. Avec ce que cela comporte de dérisoire, bien sûr. La belle noblesse du dérisoire.

Si ce n’est que le tracassé, ici, c’est Malassis. Inquiet et chagrin. Agité, aussi. Agité sans cesse par la pensée de cette femme toute rousse. Que fait-elle ? Blanche a-t-elle d’autres pensées que lui ? Oui, bien sûr. Il n’est pas si agité. A-t-elle aujourd’hui d’autres amours ? D’autres amours qu'un mari ? 

Comme la fille du paysan dans le conte des frères Grimm Malassis a vou­lu filer la paille pour la changer en or. Un or qui aurait des reflets roux. Cela n’était possible qu’aux conditions d’un affreux nain. Il fallait lui donner quelque chose en échange du miracle – de la transmutation de son amour feu de paille en Déclaration d'amour : quelques mots timides alignés pour la parade amoureuse. Sa Somme (ses Mémoires notariales et l’œuvre de sa vie écrite pour elle et qui ne traitait que d’elle et qu’elle n’aura pas lue). Il lui donnait sa vie. Le pari était truqué, comme toujours avec le Diable. Désormais, le tra­cassin ne lâche plus maître Malassis, il ne veut plus le laisser être, simplement être.

Être autre qu’une errance sans espoir au fond d’une Étude.

Trouver le nom de ce nabot serait pourtant échapper au sorti­lège, selon le conte médiéval, et l’obsession disparaîtrait. Le malheur est qu’il a beaucoup de noms, et, c’est à supposer, un pour chacun d’entre nous.

Tracassin, 

Bimbamboulor, 

Barbichu, 

Grigrigredinmenufretin, 

Outroupistache,

Gargouilligouilla,

Broumpristoche,

Ricouquetv,

Mirlikovir, 

Tom-Tit-Tot

ou encore Vircocolire.

Maître Malassis cherche le nom de son malheur.

Il se pourrait que ce nom soit jeunesse.

Il referme le dictionnaire.

« Je n’ai jamais été si jeune », lui dit-il.

 

 

[à suivre]

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