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Publié par Michel Castanier

[Giacometti]

 

Départ pour un pays lointain

 

Il y a peu de beaux vieillards, la face romaine, la toge ami­donnée retombant pli après pli sur leur petit derrière, la pose auguste, le suicide élégant, ceux-là soupçonnons-les des pires difformités morales, de vénalité, de corruptions, de désirs dégoûtants, infâmes, délicieux ; certains vieux deviennent tou­jours plus raffinés dans leur sexualité et par lassitude montent les degrés mélancoliques de la plus exquise cruauté, imagi­nons Mathusalem son enfer son para­dis, ou plutôt non, n’imaginez rien – je vous traduis leurs sentiments.

Mon ami Constant, navigateur solitaire en villégiature dans sa ville natale dont il aime tant le réseau fluvial, est assez peu concerné, tout au plus peut-il lui être reproché d’être à présent allégé, l’humeur plus joyeuse à l’idée d’être,

d’être simplement

d’un banc

à l’autre.

______

 

« Suis Maryline !

– Bonjour, mademoiselle !

Je ne suis pas une demoiselle, je suis une petite fille. Tu viens avec moi ?

Constant doit lui tenir la main quand elle escalade les ruines du Temple de Diane écroulées dans la Cité de la fontaine. On a le genre de visite qui se fait quand un en­fant vous guide. On va où ça sent le pipi de pigeon.

– Tu sens ?

Maryline paraît contente, Constant est bon public (pas très malin, et c’est bon signe pour son projet).

– Es-tu jeune ou vieux ?

– Je suis vieux.

– Veux-tu que je te présente à ma mère ?

– Je la gênerais.

– Pas du tout, elle ne fait rien. »

La mère tourne le dos, assise au loin sur un banc, devant la grille du temple. Maryline va remettre une plume de pi­geon à cette femme sans âge qui, après quelques mots, se re­tourne et sourit – à ce que Constant suppose d’abord, car, un peu plus tard les croisant, il s’aperçoit qu’elle a une poignée de dents qui lui écarte la bouche et tient lieu de gaieté.

Il songe à une enfance mal aimée ; quelque part en ce monde on n’a pas pris soin d’une petite fille ; il détourne les yeux, – elles le dépassent et s’éloignent côte à côte et tête basse, une même inclinaison de la tête leur prê­tant un air de tris­tesse et de soli­tude.

______

 

Constant n’a aucun souvenir d’avoir fait le bien, Dieu l’en garde ! Si nous commet­tons une bonne action, d’après lui elle n’en est pas une. Ou du moins elle ne l’est pas demeurée. Nous en avons fait quelque chose et qui n’est plus de la bonté.

À bien y réfléchir, c’est notre sort : finalement, toute action est une négativité. Selon Constant, le bien est suspension du mal, tout au plus. Rare. On ne peut s’attarder dans l’état d’innocence ori­ginel – la pureté des Jardins du paradis – sans en être aussitôt chassé.

L’acte de bonté nous arrive par inadver­tance, quasi sans nous, une impulsion, rai de lumière et grâce dont on ne sait rien et qui laisse étonné, sans compré­hension.

Nous sommes des idiots de la bonté.

______

 

L’émotion vibrante que lui a causé pareil mélodrame à la Cité de la fonaine l’épuise, comment arriver à bon port, par quel chemin et dans quel état ? Lui le patient l’organisé l’avisé si peu tumultueux, le barreur, le constant,

il remonte à la Source dans son pédalo pour une course en solitaire filant 40 nœuds

fusant par les voies fluviales des jardins du Paradis

jusqu’au bord du monde.

En fait, non. Il n’est pas si hardi. D’une grande humilité, une fois rentré de sa promenade aux jardins, il a dormi dans l’as­cen­seur de son hôtel particulier.

 

 

[à suivre]

 

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S
J'aime beaucoup le " navigateur solitaire en villégiature dans sa ville natale dont il aime tant le réseau fluvial, ", une métaphore riche - comme il y avait des rimes riches - et une sacrée réussite sonore ! Et puis le paragraphe sur la bonté et son moralisme paradoxal prouvent que l'on peut - que vous pouvez- réussir à donner une tournure "grand siècle" à notre triste époque.
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M
Ah merci ! Chouette initiative. L'essentiel du lectorat me vient de fb. Une moyenne de 170 lecteurs quotidiens. En te disant cela je me trouve la vulgarité d'un nouveau riche.
S
Je reposte mon commentaire sur Facebook, mon enthousiasme y aura peut-être plus d'impact...
M
Vous n’imaginez pas le plaisir que me font vos commentaires par cette soirée de solitude. Votre touché critique au fleuret m’enchante. Et oui, tant de livres actuels n’ont aucune musique. Cela s’entend dès les premières lignes et je ne peux acheter ce qui n’est qu’un produit. <br /> Par ailleurs, je crois farouchement à cette notion de bonté qui en quelque sorte nous transverbèrerait – mais je préfère prêter ce mysticisme à un personnage dérisoire (autodérision oblige – et malignité). Cependant, ce côté grand siècle que vous m’attribuez si gentiment me perd dans la vulgarité ambiante. Toujours pas d'éditeur.<br /> Vivement que nous nous retrouvions pour parler de notre domaine ; les actualités m’insupportent (je suis quasiment en exil de ce monde), et les Ada n’annoncent leur retour que dans au moins une semaine.<br />