Une saison inquiète II – Des nouvelles de la mélancolie (24)
La triste Épreuve de la dame dans la gouttière
Il fut un jour printanier devant le grand canal ombragé, où Alban Sévère, conseiller municipal, essayait de comprendre qui il était, cela n’est pas donné à tous.
Les feuillages des micocouliers bavardaient entre eux. Deux cygnes filaient l’un derrière l’autre avec cet air suave de n’être pas tout à fait là si quelqu’un se penche par-dessus le muret pour les observer. Un homme passa le long du canal en parlant à son chien qui l’écoutait avec attention et lui répondait sans s’énerver, et même le labrador – tirant et cinglant avec la lanière qu’ils avaient en partage – dut à un moment calmer son maître qui tenait absolument à couvrir une dame de passage. Alban Sévère avait tendance à voir dans un chien beaucoup plus qu’un chien et chez certains hommes beaucoup moins qu’un homme. Il se souvint alors de Valentin Fauconnet, conseiller municipal son collègue – et par là-même de cette tristesse d’aimer chez les pervers.
Résumons.
La niaiserie SM ! Certains y croient, la pratique étrange libèrerait le pire en nous pour en faire un jeu – une prise de distance – où se faire peur et mal pour rire ; ainsi, par un effet dit de catharsis rendu à la raison, l’acteur de ses perversions, pacifié, serait le plus aimable des amis, des époux et des collègues ; on devine la pauvreté affective et mentale de ces gens. Le malheureux maître s’agitant parmi ses chaînes, ses fouets, ses gouttes de cire brûlante, ses aiguilles à piquer dans les seins et ses croix de Saint-André où crucifier la délicatesse – le pauvre maître subit le vertige de l’apparence. Il est un être baroque dans un théâtre d’ombres. Ne torture-t-il pas que lui-même ? Le voici se faire un mal de tous les diables par l’entremise du mal qu’il fait à son aimée.
Et de fait, le mal qu’elle lui donne ! Les soins avec lesquels la maintenir en vie ! L’attention soucieuse pour les fièvres qu’occasionnent les plaies ! Il est à la vue de la soumission infinie de la femme désirée une tristesse, un reproche, une rage qui ne peuvent qu’aliéner l’amoureux.
Chacun sait comment l’élasticité confondante de l’esclave (ce grand bébé) s’enroule autour de la rigidité du maître dont la logique est suspendue par la civilisation, la loi, le Bâton, l’étrange tendresse. – S’il tourne mal, il n’était qu’un psychopathe, un être de sérieux, de ressentiment.
Sinon, il rêve, il rêve immobilisation, taillage, parcellarisation, morcellement de la femme : la réduire en éléments n’en délivrera jamais l’essence qui rend effaré. D’où que notre gourou en larmes dans sa crypte ténébreuse lui couvre les yeux d’un bandeau et l’ajuste dans une minerve bien serrée autour du cou pour l’offrir à la queue-leu-leu des disciples encapuchonnés, haletants, cul nus – il annule ce qui lui est supposé d’âme, prise dans le sommeil, prise de femme rêvant. D’où le dirigisme, les positionnements, les renversements. Le contrôle éperdu.
Mais la position de la masochiste est imprenable.
Laissons ce pauvre sujet. N’en disons pas plus pour ne pas choquer la grande pureté drapée de lys blancs d’un univers ingénu.
D’ailleurs, Alban Sévère a d’autres chats à fouetter.
[à suivre]