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Publié par Michel Castanier

[Fabiano]

 

Senescence sublime - 1

 

« Ainsi n’y aura-t-il rien eu entre nous – que du sucre sans sucre et un peu de lait ?

Pardon ?

– “ Oui, du sucre sans sucre et un peu de lait ”, m’avait dit Ninon. Vous croyez ça ?

– Je…

– Et en effet, ce n’était pas croyable. Aucun acte ? Ni oui ni non ? Je n’imaginais pourtant pas que deux êtres puissent s’être dit oui à ce point ! O Ciel ! O dieux ! O Ninon ! Il y avait entre nous quelque chose de juste, quelque chose de jamais vu et voilà que Ninon a mis ce leurre entre nous, le sexe, cette insi­gnifiance sans quoi vivre entre homme et femme est pour­tant impossible et sans qui tout est commun et ordinaire et n’est qu’amitiés de bureau.

C’est bien vrai !

Non ! j’ai une plus belle idée des hommes et des femmes, de leur folie, mais cela s’invente ensemble glo­rieusement, alors que Ninon ne me proposait que de genti­ment beurrer ma tartine à la cafétéria de notre entreprise ou,de me lire le jour­nal local pendant la pause ou, les jours fériés, de visiter ensemble le sinistre musée municipal, divertis­sements de mon âge, je présume, et me voilà grand-père de substitution sans même le goût vénéneux de l’inceste !

N’exagérons rien.

La folie merveilleuse ce n’est pas cela, elle est ce qui nous portait si spontanément l’un à l’autre sans aucune restric­tion d’un bureau à l’autre, d’une pho­toco­pieuse à l’autre, tour­nant autour de la machine à café comme nous tournions autour de nous-mêmes, ce qui était une passion l’un de l’autre et une liberté heureuse !

– Remettez-vous. Après tout, les contradictions sans résolu­tion sont le jeu même et la belle santé des hommes, cher César. La vie est si généreuse.

– Je représente – au Ciel ! aux dieux ! à Ninon ! – que la vie est horrible, Gaston. Je ne peux vivre sans curiosité sans désir sans risque qui ne soit désordre et transgression, antique et chère liberté de nos vrais pères selon l’érotisme et l’humour – ces deux saluts sans quoi l’humanité se serait suicidée dès les cavernes humides et glacées !

– Comme vous avez raison, cher César ! Le rire, cette éman­cipation ! Imaginons l’Homme un pithécan­thrope morose il rentre dans sa grotte et n’en ressort plus, – rêvons-le tel qu’il fut, hilare devant cette vaste blague qu’est la vie, et nous voici bienheureux en route pour les étoiles !

– Certes … Or la voici soudain très raisonnable, Ninon, vieil héri­tage contraignant de ses pères religieux, de ses pères cas­trateurs, la voici incapable d’aller au désir sans désir particu­lier et de voir ve­nir ce qui se passera de lamentable ou de mira­cu­leusement jouissif dans l’Amour si tendre des chefs de bureau. »

Les deux amis, assis sur un même banc de notre square, se penchèrent sur cette idée émouvante alors que nous jouions à la pétanque sous le regard intrigué de la statue d’Antonin non sans pour­suivre à notre habitude entre deux carambolages de boules un entretien indolent – sans doute par association d’idées – au sujet de la part d’enfance qui se loge dans l’amour…  

« La formi­dable impor­tance d’une égrati­gnure au cœur comme au coude …  

– La précision extralucide des sensations…

– Le plus-que-présent enfantin : mis à distance, révoqué à l’âge adulte…

– Ressaisi à l’instant de la mort ? » 

 

[à suivre]

 

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