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Publié par Michel Castanier

Senescence sublime – 3

 

En effet, nous nous souvenions de cette leçon qui avait beaucoup agi sur notre état d’esprit et peut-être notre vie sociale, un peu comme le choc d’une boule adverse dévie de sa position favorable une autre boule – image inéluctable qui m’est venue dans la gravitation de nos préoccupations sportives. Alors qu’à la récréation – après le cours de Sciences naturelles où les gre­nouilles éviscérées sur leur croix tressau­taient nerveusement – nous étions plusieurs enfants à entourer une bestiole qui descendait par une des colonnettes du préau, pré­cautionneuse, posant avec minu­tie trois pat­tes après trois pattes, – quand notre professeur de sciences naturelles, mon­sieur Michelangelo Bernardetti, rappro­cha ses yeux comme si c’étaient des loupes. – Son souffle immobilisa le cancrelat.

– Remarquez, mes petits, les pièces rigides articulées par des membranes souples. De véritables sutures. C’est là une par­faite machine de guerre. Un tank ! L’Évolution fait bien ce qu’elle fait. Cet insecte avance sur des griffes par une série de zigzags. Les trois pattes d’un même côté viennent suc­ces­sivement se po­ser après les trois pattes de l’autre côté : n’est-ce pas extraor­di­naire ?

– Très.

– On n’a pas dans ce cas un exemple de ces pelotes adhé­si­ves qui fonc­tionnent comme des ventouses et sécrè­tent une re­marqua­ble substance adhérente – On ne peut pas tout avoir. En eux-mêmes les insec­tes ne sont pas dangereux – au moins en dessous d’une cer­taine taille. Qu’ils n’aillent pas grossir ! ce serait une perte de temps. Le dispositif d’où procèdera l’extinction de notre espèce est bien plus complexe. Ces bêtes peuvent être vec­teurs de propagation épidémiologi­que. On connaît le cas d’un parasite qui opère sur les mé­diateurs chi­miques des éco­liers.

Nous avions tous eu un rire com­plaisant, ner­veux, fragile, un peu idiot.

– C’est un exemple rigolo, n’est-ce pas ? Sous son impul­sion l’élève se met à grimper aux barreaux de l’Edu­cation na­tionale où il est une proie facile pour les Chefs d’entreprise qui sont le but du cycle parasitaire. Mais laissons ça. La race des grands lé­zards n’a pas résisté à la chute d’une météorite, d’après des sources auto­risées. C’est notre tour. Le genre humain dispa­raîtra bientôt. Scan­daleux, non ? Ou peut-être pas ?

La blatte minuscule ex­plosa sous le poing de l’instituteur. Du jus avait giclé entre les plaques de chitine écrasées. Monsieur Bernardetti essaya sa main avec un mouchoir ajouré de sa grand-mère sicilienne.

– Comment vous traitez vos amis ! avions-nous crié, très choqués.

– Consolez-vous, les insectes déjà sur leur starting-block feront leur temps à leur tour. Les vers de terre sont déjà bien plus nombreux. La planète sera d’ici peu une énorme assiettée de spaghet­tis mobi­les.

Et le professeur, qui était d’origine italienne, riait, content, épa­noui, en pleine dépression nerveuse, avant de nous pousser dans la direction de la sortie et de monter au cinquième étage se jeter par la fenêtre de la classe de Sciences naturelles à la grande approbation des grenouilles crucifiées.

 

[à suivre]

 

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