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Publié par Michel Castanier

[Kandinsky]

 

Viatique

 

La mort, une vieille pandémie virale en expansion depuis les cavernes. Ou la contagion d’un bâillement. Un préjugé trop unanime. Une mauvaise interprétation des faits ?

Soyons optimiste. Extrêmement serviable, très sûre, d’une amitié fidèle, tou­jours à portée de main, elle est un kit de secours portable. Elle nous fait rire du malheur, desserre l’étau, donne à respirer. En ôtant tout sens à la vie, elle accorde à cha­cun un sens ou plutôt du sens et même autant de sens qu’on veut. Elle est notre chance. Elle est notre liberté. La mort est une divine astuce pour que du possible se délivre.

Maximilien Roque allait réfléchissant le long du canal reflétant le ciel très clair et le vol d’une bordée d’étourneaux en bande organisée, – quand la vue d’un boiteux lui occasionna quelques nouvelles réflexions astucieuses dont il lui fit part, l’ayant rejoint et marchant à ses côtés amicalement, sans toutefois aller jusqu’à boiter de compagnie, Maximilien a le sens du ridicule.

« La chute de Satan, cet artiste contrarié, aurait dû être le premier rire de l’humani­té, cher monsieur. Ce n’est pas le cas. Personne ne sait voir combien le Mal est dérisoire. Un homme marche, glisse et tombe. On s’étouffe de rire. En revanche, la dégringolade du haut d’une falaise ne nous fait plus rire du tout. Elle devrait. C’est penser petit. Si l’ordre du vivant est atteint, et non plus l’ordre social ou moral, le rire se brise dans la chute. La mort a pointé son bout de nez. Elle fait peur. »

Roque devait marcher trop vite, son nouvel ami peinait à le rattraper, et son boitillement s’aggravant il semblait se bouscu­ler pour avancer, Roque ralentit aimablement le pas.

« Or, elle est extrêmement drôle, figurez-vous. Ainsi la marche est-elle une chute régulièrement interrompue, chaque bipède le sait et vous-même en particulier. Autre­ment, s’il y avait culbute continuelle, un non-sens absolu arrive­rait en catastrophe dans les raisons d’être que se donne l’homme qui va méditant, les mains dans ses grandes poches. Al­lons plus loin. Une vie n’est-elle pas une chute retenue ? Voilà qui devrait être haute­ment comique. »

On se reposa un instant sur le banc de bois vert à l’ombre d’un micocoulier bienvenu épandant son ombre fraîche alen­tour.

« Un homme qui meurt perd la tête, les sens, et le sens de sa vie conquis sur tant de doutes s’effondre lamentablement, d’un coup et sans raison notable. N’y a-t-il pas de quoi sangloter de rire. On hésite. Nous respectons trop la mort, nous lui faisons allé­geance comme à tout ce qui est plus fort que nous, le maître à penser, le tyran, mon boucher, Odile.

– Odile ?

– La mort est bouf­fonne. Mozart l’a su.

– Mozart ?

– Un basketteur. Bonne continuation, cher monsieur. »

______

 

Pour une fois Roque – qui avait pris dès son adolescence l’habitude de marcher trop vite – n’avait pas eu de sensation d’étouffement en quittant le nouvel ami et il se ras­sure. De toute façon c’est en effet de bon cœur qu’il attend la mort, elle l’allègera, le simplifiera, il lui présentera ce corps dont il ne sait plus quoi faire, le lui remettra, s’en dé­chargera. Il est vrai que le corps se dis­so­cie déjà, il va de son côté et Maximilien Roque du sien – pas long­temps, pas loin. Roque lui revient, il retourne le chercher, le corps s’insurge, il lui en veut, il le hait, ils sont à contre-courant, ils sont à hue et à dia, le corps a des choses à dire que Roque n’a jamais écouté, il se fait entendre et même on n’entend plus que lui. Il y a peu il s’est mis à boîter, pour narguer Roque, Roque en est sûr.

______

 

À quoi bon insister ? Décidément il a mieux à faire, autant échapper à son corps, se dissiper, arraché à soi-même – Il s’achète une bonne corde chez le quincailler,

pour effectuer la grande plongée dans les profon­deurs paci­fiées,

sa dernière aventure amoureuse.

Quelle belle nuit ! Depuis la poutre du salon où son corps pendu gigote il regarde une ultime fois par la fenêtre ce qu’est la ville avant ce qu’elle sera après sa mort. – Le regard tenant lieu d’odorat depuis que nous sommes civilisés, il n’y a rien de sur­prenant dans une fixation éperdue à l’égard d’un joli posté­rieur gravitant dans la perspective de la rue Copernic. La tendre et fes­sue Odile Tartefluna, sa voisine, s’amenuise sur son vélo à panier.

Les lampadaires ne cessent de s’éteindre et de se rallumer sur son errance vélocipédique – une suite de clins d’œil.

Maximilien Roque repose.

 

[à suivre]

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