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Publié par Michel Castanier

XIV. Le Siège périlleux

 

Puisque Guss n’imaginait rien d’autre, son imagination ne por­tant pas très loin, il écrirait quand il aurait vécu, fût-ce dans une confusion exponentielle – et tout vécu, même le crime ! C’était l’idée.

Dès le ventre maternel, comme toute créature d’exception, n’est-ce pas, – méditant ce que serait l’œuvre – effectuant roulés boulés et brasses coulées dans le liquide amniotique jusqu’à ce jour où naître enfin :

« Allez ! disait-il à la sage-femme. J’ai à vivre ce qu’il me reste de vie pour en écrire ! »

Ce sera son cri primal.

Y aurait-il du génie dans ce bon regard ?

C’est assez simple, dit l’encre Waterman, son bout de nez bleu au bord de l'encrier portatif : j’entrevois enfin ce que sera écrire.

Il y faudra toute une autre vie,  dit l’inhalateur Bronchodual.

La bonne, dit l’aérosol Trimbow.

Sans doute les véritables recherches ne mènent qu’à des seuils, conclut Hector, l’étui à cigarettes argenté.

______

 

Ecrire est réécrire sans cesse, il faut se battre contre soi dans tous les coins et recoins du ring, bûcher son swing, accepter le KO, se relever avant les dix secondes, s’obstiner dans tous les états physiques et mentaux, pathétiques ou exagérément eupho­riques, ensom­meillé ou malade à vomir, on y apprend toujours du neuf, peut-être pas à l’état lucide, il y a des limites.

Il se découvre alors – à force d’écrire – qu’il y a plu­sieurs personnes dans la personne, nous y avons déjà fait allusion. – C’est ainsi qu’assez bizarrement les Mille et Une Vies (que Guss appelle pièces, passages, modules) sont des sœurs siamoises qui se tiennent par la hanche,

par un pied,

par le haut du crâne,

par la paroi du cœur. Le Livre en chantier (les livres de toute une vie) est la baraque foraine où sont exposées cette créature et sa nichée de phénomènes farfelus et attendrissants. 

Ces derniers temps – sans doute à la suite de considéra­tions aussi astucieuses – Guss a rêvé de Dieu confronté à ces monstres de foire

(aujourd’hui médicalisés dans des cliniques secrètes où n’ont accès que de rares écrivains privilégiés).

La confrontation était morose.

Ni le dieu ni ses phé­nomènes n’en étaient enchantés.

Le rire de Guss l’a réveillé.

La Création ne serait-elle qu’un coup de dés génétique ?

La créa­tion litté­raire un ricochet sur la face obscure des eaux ? – Quelque chose comme ça…

On rirait à moins, dit Bronchodual..  

Il serait peut-être temps d’écrire plutôt des livres respon­sables, dit Trimbow, des plaquettes de poésie pour les enfants, des romans sociaux farouches, des libelles contre l’esclavagisme occidental,.

Être vertueux ! conclut Hector.

 

 

[à suivre]

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