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Une saison inquiète III – Carré (83)
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XV. Et c’est ainsi qu’Allah est grand
Assis à sa terrasse favorite devant la Maison carrée, respectable monument, Romuald consultait avec effarement les dernières actualités sur son Ipad dernier cri en tapotant l’écran tactile.
« Voilà, mon cher Ali, qui donne témoignage de la honte des hontes pour notre collectivité ! Connaissez-vous le conte de la petite marchande d’allumettes ?
– Allah y pourvoira. »
À sa façon de patienter à côté de Guss celui-ci comprenait que le serveur du Café Carré ne l’écoutait pas ou ne comprenait pas de quoi il l’entretenait. Il développa en supposant qu’il resterait quelques graines à germer de ses vertueuses indignations dans cet esprit obscur. Certes, lui expliquait-il, elle n’est pas scandaleuse l’irrationalité tendre du discours d’une maman pour l’enterrement de sa fillette détruite par un Immonde.
« Allah y pourvoira. »
En revanche, elle était scandaleuse la caméra fouineuse qui fouillait longuement la foule devant l’église, à l’affût des larmes « anonymes », selon la voix suave du journaliste de terrain niché sur le parvis.
« Allah y pourvoira. »
Elle était scandaleuse l’agora télévisuelle des « experts » de plateau tévé commentant – entre deux packs de publicités hystériques – la « pureté enfantine » et ce que seront « les schémas de reconstruction » autour d’une chaise vide à la table familiale.
« Allah y pourvoira. »
Elle était scandaleuse la citation de l’Evangile à l’église : Laissez venir à moi les petits enfants et la voix feutrée de l’oraison funèbre, inadmissiblement égale et douce – partout au monde la même diction chic, la rhétorique de bon ton déplorant les horreurs pleurées en ce monde !
« Allah y pourvoira. »
Guss pressentait qu’Ali allait mourir de lassitude.
« La chaleur et la passion que fut celle d’un évêque afro-américain dans son homélie au mariage royal britannique il y a peu de temps, souvenez-vous, cher Ali, est-ce trop demander pour la terreur d’une pauvre petite fille au fin fond de la France ?
– Un thé vert Gyokuro cultivé à l’ombre et délivrant des notes iodées ? »
Ali partit en ayant l’élégance de renoncer au paiement d’un broc d’eau fraîche citronnée en supplément.
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Il y aurait à méditer sur certain bébé royal, comme la Presse internationale enthousiaste l’appelle, le roi des bébés rois ! apparu dans la crèche de Buckingham aux Actualités ces derniers temps. La société mondiale est une grande famille où la naissance de l’un d’entre nous, fût-il britannique, est un évènement qui se fête.
Sur les réseaux sociaux s’échangent belles photos et propos passionnants : ma recette de spaghetti aux anchois, mon chaton, mon cancer, mon oncle Théodore, mon opinion. Il se peut que l’avenir de l’humanité soit l’infantilité. L’espèce humaine est un grand roman familial, et chacun sait la solidarité des familles et qu’il n’y a aucun cadavre dans les placards de la planète, ou rien qui mérite qu’on en parle ce jour où un futur décapité est né dans l’aristocratie humaine. Quelle paix sous les étoiles !
Il m’arrive d’envisager avec satisfaction ce que sera bientôt la suprématie des insectes sociaux occupés à leur besogne, ni basse ni haute, leur besogne.
Il est vrai qu’il y a aussi une reine chez eux.
[à suivre]